Petit, Nicolas Navarro se rêvait en Poulidor remontant l’avenue des Champs-Elysées, maillot jaune sur le dos. Un accident en a décidé autrement. Et c’est runnings aux pieds qu’il s’illustre aujourd’hui, avec notamment une belle et inattendue douzième place lors du marathon olympique à Tokyo en août dernier.
Vous avez attendu vos 29 ans pour porter pour la première fois le maillot de l’équipe de France. Et vous voilà douzième des J.O., premier français et quatrième européen. Tout va très vite avec vous, non ?
Complètement ! C’est sûr que ce n’était pas forcément moi que l’on attendait à ce niveau-là, surtout comme premier Français. Ça a été une surprise pour pas mal de monde, pas forcément pour les gens qui me suivent de près, mais pour les autres, le grand public, certains membres de ma famille aussi. Même moi, je ne m’y attendais pas. Il faut dire que je ne partais pas pour faire aussi bien. Je visais le top 30. J’ai encore du mal à réaliser même si, au quotidien, je me rends compte que ça a eu un impact autour de moi. Beaucoup de personnes qui ne suivent pas l’athlétisme m’ont parlé de la course, certaines sont même venues me voir où je travaille pour me demander des autographes. J’ai reçu énormément de félicitations. Beaucoup de gens m’ont découvert avec les Jeux. Ça fait plaisir.
Votre rêve, enfant, c’était de faire le Tour de France à vélo…
Oui, j’ai commencé le vélo à 11 ans et, comme tout jeune cycliste, mon rêve était de disputer le Tour de France et de devenir professionnel. Malheureusement, j’ai eu un accident lors d’un entraînement. On faisait des pancartes, comme on dit, avec des copains. À chaque entrée de ville, on partait en sprint. Sauf qu’une voiture est arrivée en face. Un de mes amis s’est rabattu sur moi et nous a fait tomber. Je me suis retrouvé avec trois vertèbres fracturées, deux fissurées et un corset. Immobilisé trois mois. J’avais 18 ans. J’étais étudiant et je me suis rendu compte qu’il y avait autre chose à côté du vélo. J’ai commencé à sortir, à faire la fête, et je n’ai jamais vraiment repris comme il aurait fallu pour espérer passer pro un jour. J’avais un peu perdu la motivation.
« Avoir un entraineur permet de bénéficier d’un regard extérieur. C’est une personne qui sait ce qu’elle fait. Tout est planifié... »
Vous êtes pourtant revenu au sport, grâce à la course à pied. Dans quelles circonstances ?
C’est grâce à mon frère aîné, Julien. Après le vélo, il s’est mis à la course à pied, et notamment au trail. Je l’accompagnais régulièrement sur ses courses le week-end, sans courir. Et puis, un jour, j’ai eu envie d’essayer à mon tour et je me suis inscrit à la course de La Crau chez mes parents, un 10 km. C’était en 2012 et tout s’est enchainé.
En même temps, vous auriez pu continuer simplement sans gravir les échelons vers le haut niveau. Y-a-t-il eu un déclic ?
Non. Enfin, oui et non. Quand j’ai commencé à courir, au début, c’était juste pour le plaisir, mais j’avais quand même déjà l’envie de faire de mon mieux pour avoir le meilleur classement possible. En 2016, quand je me suis inscrit à Marseille-Cassis (ndlr : une course prestigieuse de 20 km avec le col de la Gineste à gravir puis à descendre), j’ai eu envie de soigner un peu plus ma préparation, en m’entraînant davantage mais en faisant aussi plus attention à mon hygiène de vie. Je savais que c’était la grosse course de la région avec un gros plateau, des coureurs africains, une diffusion à la télé. Je voulais voir ce que ça pouvait donner si je m’y mettais à fond.
Et vous terminiez huitième au classement général et deuxième Français, en 1h03’52…
J’étais super content. Jusqu’alors, je m’étais toujours entraîné seul, au feeling, en regardant des plans d’entraînement sur internet ou dans des livres. Je m’inspirais aussi pas mal des séances que d’autres coureurs faisaient. Pour Marseille-Cassis, j’étais passé de 60 km à 100 km en moyenne par semaine et je m’étais aperçu que je n’étais finalement pas si loin des meilleurs, qu’en m’entraînant davantage et de manière un peu plus cadrée, la progression était là. C’est ce qui m’a donné envie de rejoindre le club d’Aix Athlé Provence. Mais à ce moment-là, je n’avais pas du tout l’idée d’intégrer un jour l’équipe de France, et encore moins de participer aux Jeux olympiques !
Qu’est-ce que ça vous a apporté de rejoindre un club ?
S’entraîner en groupe aide énormément pour les séances. C’est beaucoup plus facile que d’être tout le temps seul. Et puis, avoir un entraineur permet de bénéficier d’un regard extérieur. C’est une personne qui sait ce qu’elle fait. Tout est planifié, on sait pourquoi on effectue telle ou telle séance. Ça évite de se blesser et ça permet d’atteindre plus facilement son pic de forme au bon moment. C’est important d’être accompagné. Avant, je ne faisais quasiment pas de piste, je ne connaissais rien à l’athlétisme. J’ai découvert beaucoup de choses avec mon coach, Jeremy Cabadet.
Qu’est-ce qui vous plait tant dans la course aujourd’hui ?
Sa simplicité. C’est une activité hyper simple à pratiquer, on met ses baskets et hop c’est parti, on part se défouler. J’apprécie aussi le fait de pouvoir donner le meilleur de soi-même le jour de la course, cette notion de dépassement de soi. En vélo, ce n’était pas forcément le cas. Il y avait toujours un aspect tactique, mécanique. Et ce n’était pas toujours le plus fort qui gagnait la course. En course à pied, on est vraiment seul contre les autres, contre soi-même. Et puis j’adore la sensation de courir. Je trouve ça très agréable.
Le plaisir, c’est quelque chose d’important pour vous…
Mes parents n’étaient pas sportifs, mais ils ont toujours voulu qu’on fasse du sport avec mes frères. Ils nous ont soutenus à 200 %, mais sans nous mettre la pression. On se la mettait tout seul parce qu’on avait envie d’avoir des résultats, mais on a toujours privilégié le plaisir. Quand on partait le week-end, si on ratait une course, ce n’était jamais grave.
Vous êtes un grand gourmand. Avez-vous dû faire des sacrifices pour la course à pied ?
Mon hygiène de vie a évolué. J’ai arrêté de faire la fête et, quand je prépare un marathon, je fais davantage attention à ce que je mange, j’évite d’aller au restaurant et j’arrête les sucreries. Mais ça ne me dérange pas, je sais pourquoi je le fais. Ça ne dure pas éternellement. Et puis, même si je prends du poids quand je relâche la pression, je sais que je peux être très sérieux quand il le faut. Sans compter que j’ai la chance d’avoir une copine qui court aussi. On s’y met à deux, ça m’aide.
« Je partais généralement au travail en courant, 12 kilomètres, pour arriver à 8h30. Une petite douche et j’attaquais ensuite ma journée de 9h à 17h... »
Pourquoi le marathon et pas le trail, comme votre frère ?
J’ai tout de suite eu de bonnes sensations sur marathon, dès le premier en 2013. J’avais adoré parce que j’avais fait un bon chrono (ndlr : 2h28’42’’ à Montpellier) et j’avais bien fini. Je pense que ça a dû aider. C’est une distance qui me convient bien. En termes de distance et d’effort, c’est ce que je préfère, là où je prends le plus de plaisir. Je ne me vois vraiment pas sur une autre distance et surtout pas sur la piste. Le 10 000, par exemple, c’est pas du tout mon truc.
Sur cette distance, justement, à quel moment avez-vous senti qu’il y avait peut-être une place à prendre en équipe de France ?
Ça a commencé à me trotter dans la tête après le marathon de Valence, en 2018. J’avais couru en 2h12’39’’ et je n’étais donc qu’à une minute des minima pour les J.O. et les Mondiaux. Quelques mois plus tard, à Paris, sur un parcours pourtant moins favorable, je termine en 2h11’53, à 30 secondes des minima. C’est à ce moment-là que je me suis dit que je pouvais le faire. Avant, je n’y pensais pas du tout. J’avais juste envie de progresser mais je ne pensais pas pouvoir un jour décrocher une quelconque sélection.
Vous étiez alors encore à temps plein dans votre magasin de sport. Comment avez-vous fait pour concilier vie professionnelle et course à pied ?
Pour progresser, il fallait que je m’entraine de plus en plus, et c’est vrai que j’ai eu un rythme de vie très compliqué ces dernières années. Il y avait peu de place pour le hasard et les imprévus, tout était cadré avec peu de temps libre. Ça faisait des journées parfois très fatigantes. Je partais généralement au travail en courant, 12 kilomètres, pour arriver à 8h30. Une petite douche et j’attaquais ensuite ma journée de 9h à 17h. Le midi, j’essayais de faire une petite sieste de 20 minutes à la pause, puis à 17h, je prenais le bus pour rejoindre le stade et faire une deuxième séance de 18h à 20h. Après, pour préparer le marathon de Valence en 2019, puis en 2020, j’ai fini par poser des congés sans solde, sinon c’était impossible.
Et pour les Jeux olympiques ?
Là, j’ai eu la chance de pouvoir signer un CIP et c’est la Fédération qui a payé les heures lors desquelles j’étais dégagé de mon travail. Ça m’a permis de me consacrer à 100 % à ma préparation à partir de la mi-mars. Mais le contrat est fini et j’ai repris depuis mon retour des Jeux à temps plein.
Vous faites partie de la team marathoniak. C’est quoi au juste ?
A la base, c’est un groupe d’entraînement que l’on avait au club d’Aix-en-Provence. On a créé une association au sein du club, mais on l’a ouverte à d’autres personnes. L’idée est de se retrouver sur des courses, de partir ensemble et de partager une passion commune quel que soit le niveau de chacun. On partage des moments avant, pendant et après les épreuves. Je fais un peu moins de séances d’entraînement avec eux aujourd’hui, mais je les retrouve encore sur certaines.
Vous êtes aussi très présent sur les réseaux sociaux, notamment sur Strava. Pourquoi ?
J’aime bien. Au début, quand j’ai commencé à y aller, c’était avec des collègues d’entraînement. On avait créé quelques segments et on jouait avec ça, on se tirait la bourre et on se chambrait entre nous. Aujourd’hui, c’est devenu un outil de partage. Je l’utilise pour montrer le quotidien d’un athlète de haut niveau, pour partager des choses, donner des idées de séances. Ça m’avait aidé de trouver des trucs sur internet quand j’ai commencé. Alors je me dis que je peux peut-être aider d’autres coureurs dans leur progression aujourd’hui.
Et la suite, comment l’imaginez-vous ?
Pour le moment, j’attends de savoir s’il y aura une équipe de France aux Mondiaux ou aux championnats d’Europe en 2022. Sinon, je me projette déjà sur Paris 2024. J’ai vraiment envie de revivre les Jeux olympiques. Mais pour ça, il faudra être au niveau en 2023 pour faire les minimas. Et il y a pas mal de concurrence.
Propos recueillis par Véronique Bury
Crédit photos : Mochizuki/Durand, Jean-Marie Hervio/KMSP