Sacrée championne du monde de trail en 2019, trois ans seulement après avoir accroché son premier dossard, Blandine L’hirondel a connu une ascension fulgurante. Et pourtant rien ne prédestinait cette Normande d’origine à briller sur les chemins de trail, si ce n’est une curiosité débordante. Rencontre au pas de course.
Vous vous êtes découvert une passion pour le trail à 25 ans, sans avoir jamais vraiment couru auparavant. C’est quoi le déclic ?
J’ai un parcours un peu atypique, car j’ai commencé vraiment sur le tard la course à pied. Plus jeune, j’ai fait un peu de danse et de gymnastique, de 7 à 18 ans, mais pas à haut niveau car je n’étais pas très douée. Ensuite, quand j’ai commencé mes études de médecine, c’est devenu un peu plus compliqué de faire du sport, et j’ai arrêté. J’ai découvert le trail lorsque je suis partie à la Réunion effectuer mon Internat, en 2016. Avant, venant de Normandie, je ne connaissais même pas cette discipline qui est le sport national à la Réunion. Là-bas, tout le monde en fait ou presque, c’est ce qui m’a donné envie de me prêter au jeu. De fil en aiguilles, j’ai commencé à mettre des dossards sur des compétitions et à avoir mes premiers résultats. C’est ce qui m’a plu. Je trouvais ça chouette de pouvoir mélanger le plaisir de la course à pied dans les montagnes et l’envie de performance.
Vous vous découvrez une passion et trois ans plus tard vous vous retrouvez championne du monde. Comment l’expliquez-vous ?
C’est ma grande interrogation et je me suis souvent posée cette question car je n’ai aucun passé d’athlète même si j’ai pris une licence en club, une année durant, quand j’étais au lycée, pour essayer le cross. En fait, je n’ai pas vraiment d’explications. Je pense que je devais sans doute avoir certaines facilités pour cette discipline. Le trail est quand même un sport assez traumatisant. En commençant aussi tard, j’étais peut-être un peu plus fraiche et j’avais une marge de progression plus importante que d’autres athlètes ayant commencé plus jeunes.
Y a-t-il eu une rencontre décisive ?
Oui. J’ai rencontré Philippe Propage et Olivier Gui sur une compétition, au Trail du Ventoux. C’était en mars 2019, et c’est là que tout a véritablement basculé.
C’est-à-dire ? Expliquez-nous.
Ils m’ont repérée et sont venus me voir pour m’inciter à participer à une course qualificative pour faire partie de l’équipe de France de trail. Au début, j’étais très réticente. D’ailleurs, si j’avais suivi mon premier instinct, je n’y aurais pas participé et je n’en serais pas là aujourd’hui. Mais, comme on dit, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis et, finalement, au bout d’une semaine, après en avoir discuté avec des amis, beaucoup réfléchi et pris du recul, j’ai accepté de participer à cette course. A une condition : si je la faisais, c’était pour réussir à intégrer l’équipe de France. Pendant un mois, j’ai donc mis toutes les chances de mon côté et j’ai demandé à Philippe Propage de m’entraîner sur cette période, car jusqu’alors, je n’avais jamais suivi de programme d’entraînement, je faisais tout au feeling. Là je voulais être au meilleur de ma forme le jour J. Et ça a marché ! Je me suis sélectionnée et trois mois après, j’étais championne du monde !
Ce titre, c’est votre plus beau souvenir ?
Cela peut paraitre étrange, mais la plus belle de mes victoires, mon plus beau souvenir émotionnel, reste quand même ma course de sélection à Buis-les-Baronnies en 2019. C’est la seule course où je me suis fixée un objectif. Forcément, en passant la ligne d’arrivée et en réalisant que j’avais réussi, l’émotion m’a submergée. C’était magnifique cette sensation de satisfaction. En plus c’était le tout début. Je passais du statut d’inconnue à celui de membre de l’équipe de France. Émotionnellement c’était très fort. Bien sûr, j’ai eu d’autres émotions par la suite, mais ce n’était pas pareil car d’une manière générale je ne me fixe jamais d’objectif et je ne me mets pas de pression. Je n’y arrive pas. Mon coach me dit que je devrais m’en mettre un peu plus mais j’en ai déjà tellement dans le travail… Pour moi, le trail est une sorte d’échappatoire. Cela m’aide à évacuer le stress du quotidien et cela doit rester un plaisir. Je cours juste en essayant de donner le meilleur de moi-même.
Justement, depuis la fin de vos études, vous exercez à temps plein en tant qu’obstétricienne dans un hôpital de Lozère, n’est-ce pas trop compliqué de tout concilier ?
Mon emploi du temps est effectivement calculé à la minute près. Mais heureusement, j’ai la chance de ne pas avoir besoin d’un gros volume d’entraînement, entre 8 et 12 heures par semaine ce qui n’est pas énorme pour une athlète de haut niveau. Généralement, j’arrive à trouver une heure le matin avant de me rendre au travail et j’effectue mes sorties longues le week-end avec mon compagnon. C’est vrai qu’à cela s’ajoute le stress du travail et la fatigue, mais ça se fait. Avec de l’envie, de la persévérance et quelques sacrifices, on y arrive.
Qu’est-ce qui vous fait courir aujourd’hui ?
J’adore la course à pied. C’est vraiment un sport où l’on a aucune contrainte. On y va quand on veut. Il suffit juste de mettre ses chaussures et de partir. J’aime ce plaisir de me sentir libre et j’aime d’autant plus le trail parce que l’on court dans des endroits superbes. En Lozère, je suis souvent seule dans mes montagnes et j’adore cette connexion à la nature, ce dépaysement aussi. Après, il y a aussi la compétition, je ne le cache pas. J’y ai pris goût et j’aime ça. Cela met un peu de piment et cela donne encore plus envie d’aller s’entrainer, même si au fond, je ne suis pas quelqu’un de très compétitrice. En compétition, quel que soit le résultat, je prends toujours plaisir à courir.
N’avez-vous jamais songé à mettre votre carrière professionnelle entre parenthèses pour vous consacrer uniquement au trail ?
J’ai réussi à concilier les deux pendant cinq ans, mais c’est vrai que je commence à saturer. Avec les sacrifices, on est toujours sur le fil du rasoir entre le burn-out professionnel d’un côté ou la blessure de l’autre. Cette année, j’ai donc décidé de prendre un peu plus de temps pour moi sur les deux années à venir. J’ai la chance d’avoir un métier qui me permet de travailler un peu moins et j’aurai logiquement des sponsors qui vont me soutenir dans ce projet. Je vais donc essayer d’augmenter les volumes d’entraînement en 2022. J’ai en effet envie de passer sur de plus longues distances, tout en ayant le temps pour me reposer et bien récupérer, ce que je ne pouvais pas faire jusqu’à présent. Je reprendrai à 100% d’ici deux ou trois ans.
C’est l’ultra-trail qui vous attire ?
C’est une question que l’on m’a déjà posée. Mais, l’ultra c’est encore différent. Je vais déjà commencer par augmenter la distance sur des 80 et des 100 km et on verra après.
Y-a-t-il une distance qui vous plait davantage ou qui vous fait rêver ?
Si je regarde ma dernière saison, les deux courses où j’ai pris le plus de plaisir sont les deux courses les plus longues que j’ai courues : la CCC (55km) et les championnats de France de trail long (57 km). Après, est-ce que j’ai aimé parce que c’était plus long et est ce que j’aurais aimé que cela soit encore plus long ? Je ne sais pas, mais j’ai envie de découvrir les distances supérieures, j’adore partir vers l’inconnu. C’est de la pure curiosité. J’ai aussi envie de voir ce que je suis capable de faire en augmentant les kilomètres. Bien sûr, comme tout trailer, j’ai envie de participer un jour à l’UTMB, mais je pense que c’est une autre expérience, une véritable aventure. Courir de nuit pendant 24 heures avec la gestion du sommeil et de l’alimentation, ce sont des choses que je ne connais pas encore. Pour l’instant je préfère y aller étape par étape. Mais j’ai déjà hâte d’être à l’année prochaine.
Propos recueillis par Véronique Bury pour J’aime Courir