Petite, Stéphanie Gicquel rêvait de voyager. De voyages en expéditions, elle a fini par établir le record du plus long raid à ski réalisé par une femme en Antarctique (2045 km en 74 jours). Depuis, elle s’est mise à courir pour aller encore plus loin dans la performance. Double championne de France des 24 heures, et vice-championne du monde par équipes du 100 km avec l’équipe de France à Berlin au mois d’août, elle sera, le week-end prochain, au départ des championnats d’Europe des 24 heures à Vérone (Italie). Rencontre avec une athlète atypique et passionnée.
Vous avez failli ne pas prendre le départ des Mondiaux du 100 km, lors duquel vous avez finalement décroché la médaille d’argent collective avec les Bleues. Que s’est-il passé ?
Au retour du stage préparatoire de l’équipe de France pour les Mondiaux du 100 km et les Europe des 24 heures, je me suis fait un lumbago. Un accident de la vie quotidienne, pas lié à l’entraînement, qui a eu un impact sur toute la jambe droite, à cause d’une compression des nerfs et d’une réduction du flux sanguin. Toutes les séances ont ensuite été très compliquées. Je devais faire énormément d’étirements et de massages avant chaque entraînement. J’avais perdu en amplitude de foulée, je ne pouvais plus travailler sur l’allure spécifique de course. Je boîtais tous les matins. Ça a été très compliqué. Avec mon ostéopathe et mes kinés, on a essayé de faire les soins pour décompresser la hanche. Ma participation aux Mondiaux du 100 km a été incertaine jusqu’au bout. Le mardi, quatre jours avant la course, mon footing s’est bien passé. En revanche, le vendredi, ça s’est mal passé. Autant dire que je ne savais pas du tout si j’allais pouvoir courir 100 km. J’ai finalement réussi, mais évidemment pas à l’allure prévue, à cause des douleurs et du manque de rythme. Mais être allée jusqu’au bout a été un gros aboutissement, en étant en plus vice-championne du monde avec le collectif.
Comment allez-vous à quelques jours des championnats d’Europe des 24 heures ?
Le dos va mieux. Je ressens encore des douleurs, mais ça n’a rien à voir avec le mois d’août. J’ai pu reprendre du plaisir à l’entraînement depuis trois semaines. Avec mon entraîneur Frédéric Barréda, on avait préparé spécifiquement les Mondiaux du 100 km. Ce qui n’a donc pas été le cas pour ces championnats d’Europe des 24 heures, ma discipline de prédilection. J’ai un peu plus de jus. Je me projette avec confiance sur la compétition, même si je n’ai pas eu de préparation spécifique dédiée. Avoir traversé des moments difficiles booste énormément le mental. J’espère que ça va bien se passer à Vérone. Ça sera ma cinquième course de grand fond ou ultra en onze mois. L’objectif est de faire mieux que mes 240 km du mois de mai. Mais, en même temps, j’ai conscience que disputer deux 24 heures en à peine trois mois est très lourd. Quoi qu’il arrive, ma saison est déjà réussie et je me projette à plus long terme dans cette discipline qui me passionne. J’ai l’ambition de faire partie du top mondial. J’avais terminé septième des Mondiaux à Albi en 2019 et j’ai envie d’aller encore plus loin.
Au mois de mai dernier, vous aviez remporté votre deuxième titre de championne de France d’ultrafond en améliorant le record des championnats de France des 24 heures (240,028 km). Vous attendiez-vous à cette performance, un an après avoir été gravement renversée par une trottinette ?
Je ne pouvais pas m’y attendre. J’étais d’ailleurs incapable de savoir si j’étais encore capable de courir pendant 24 heures. Entre le Covid-19, une fracture de l’orteil en 2020 et cet accident qui m’a immobilisée pendant de longues semaines (fracture de la rotule), j’avais été privée d’ultras pendant trois ans. Il y avait une grosse part d’inconnu avant de prendre le départ. C’est donc une grosse satisfaction de voir que je suis capable de refaire la même performance qu’en 2019. D’autant que j’ai beaucoup moins souffert des jambes qu’il y a trois ans.
Comment avez-vous réussi à vous remobiliser après cette épreuve ?
Sur le moment, cela a été très dur à accepter. Quand on est face à un choc, il y a toujours un moment de déni. Au début, je n’ai pas arrêté de me repasser le film en me demandant pourquoi je m’étais retrouvée face à cette trottinette. Ça a été très difficile. D’autant que je revenais à peine de ma fracture de l’orteil et que je commençais seulement à refaire des séances de qualités. Mais la vie et la passion ont repris le dessus et j’ai fini par accepter que je ne pouvais pas tout maitriser. Le fait de savoir que le cartilage n’était pas atteint, et que seule la rotule était fracturée, m’a aussi rassurée. À ce moment-là, j’ai su que l’obstacle n’était pas infranchissable et j’ai essayé d’y voir du positif en me disant que j’en ressortirais peut-être plus forte. À partir de là, nous y sommes allés progressivement en reprenant du volume doucement. J’ai commencé par un 10 km, puis un semi, un marathon et enfin le championnat de France du 100 km, une première pour moi et qui m’a permis d’obtenir ma sélection pour les championnats du monde. Mais au départ, j’y allais dans l’objectif de revenir sur l’ultra.
Vous êtes venue sur le tard à la compétition. Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez enfilé une paire de baskets pour courir ?
Je pense que c’était quand j’étais enfant. Je me souviens de séances d’endurance au collège, où on courait pendant 40 min. J’avais pris l’habitude de serrer un caillou dans ma main pour concentrer ma souffrance sur ma main plutôt que sur la course. Je me souviens aussi des cross du collège, où j’étais souvent dans les premières. Mais je n’ai pas évolué dans une famille de sportifs et, à l’époque, je ne savais pas qu’il y avait des clubs et qu’il était possible de s’entrainer et de progresser en course à pied.
Et votre premier dossard ?
La première fois que j’ai mis un dossard, ce n’était pas pour faire de la compétition mais pour me préparer pour une expédition. À l’époque, j’utilisais les infrastructures des courses, notamment la logistique mise en place pour les ravitaillements et les secours, pour m’entrainer avant de partir sur des expéditions. C’était plus simple que de partir seule avec mon matériel sur des randonnées sans assistance. Je me souviens avoir ainsi participé au Trail du Sancy il y a plus de 10 ans. La compétition, la vraie, j’ai commencé plus récemment, en 2018.
Avant de performer en ultrafond, vous avez aussi voyagé et parcouru de grands espaces. Vous êtes même entrée dans le Guinness des records en effectuant la plus longue expédition à ski sans voile de traction jamais réalisée par une femme en Antarctique (2045 km en 74 jours). Qu’est-ce qui vous a finalement donné envie d’aller courir durant 24 heures autour d’une piste ?
Quand j’étais jeune, mon rêve premier était de voyager. J’ai donc utilisé mes études pour m’émanciper et acquérir les clés pour entreprendre. Quand j’ai commencé à gagner ma vie, j’ai pu commencer à voyager. Cela m’a amenée progressivement à faire des voyages de plus grande envergure, des expéditions en marchant puis en courant. Petit à petit, à force de parcourir ces déserts, de courir le long des chemins de grandes randonnées, je me suis aperçu que j’aimais bien l’ultra-endurance et j’ai eu envie de tester la compétition parce que je sentais que cela devait être un environnement extrêmement intéressant. Je me suis tournée vers l’ultrafond parce que mon objectif était de courir tout le temps, sans m’arrêter. Or dans le trail, je voyais bien que même les meilleurs, face à une montée, ils marchaient, certes vite, mais ils ne couraient pas tout le temps. Cela m’intéressera peut-être un jour, mais j’ai d’abord eu envie de m’essayer sur un format de course où on courait tout le temps. Je sentais que c’était là où j’avais le plus de ressources.
Qu’est-ce qui vous plait dans la course à pied aujourd’hui ?
La maitrise du beau geste, l’adaptation. Le fait de voir qu’à force de répétition, on a une plus belle foulée qui permet d’aller plus vite ou plus loin en fonction de la discipline, que le corps s’adapte alors que l’on pensait que c’était impossible. C’est ça qui me plait et me fascine. On a encore peu de données sur l’ultrafond, c’est une discipline assez récente et le travail avec les chercheurs pour savoir comment mieux s’entrainer me passionne. Je suis hyper curieuse et j’adore échanger avec les scientifiques. Je trouve ça extrêmement intéressant. Quand ils me racontent ce qu’il se passe dans mon corps, je pose plein de questions, j’ai envie d’en apprendre toujours plus. C’est une soif de connaissance, mais comme lorsque j’étais en classe prépa’ ou en fac de droit. J’adore apprendre et rencontrer plein de personnes, des entraîneurs, des préparateurs physiques, participer aux recherches et améliorer les connaissances sur le sujet. Exactement comme dans les expéditions. J’aime le contact avec la nature, le corps à corps avec elle, mais ce que j’aime aussi, c’est d’en savoir plus sur moi, sur mon corps, sur le monde, de voir que l’on peut maitriser des environnements complexes et s’adapter à des conditions extrêmes. Il y a aussi une logique d’adaptation dans la performance de haut niveau que j’aime beaucoup.
Justement, pensez-vous que vos différentes aventures, et notamment votre expédition en Antarctique, vous aident aujourd’hui dans votre pratique de l’ultrafond ?
Quand on parcourt l’Antarctique pendant 74 jours, on n’a pas de confort, pas de douche, on affronte de grosses fringales, des crevasses géantes, des froids extrêmes, des moments très durs où l’on est parfois dans la survie. Sur une course de 24 heures, cela m’aide donc forcément à mieux supporter les moments de bas, de souffrances physiques, de douleurs musculaires. Je pense aussi que cela m’a apporté une certaine forme d’endurance et une grande résistance physique pour les 24 heures. L’Antarctique, c’était quand même 70 heures d’effort par semaine pendant près de 3 mois.
Il y a un an, vous visiez le record du monde des 24 heures, est-ce toujours un objectif ?
Oui, c’est toujours un objectif. Quand je rentre dans un univers, j’aime bien l’explorer à fond, si j’arrête au milieu de l’aventure j’ai l’impression de faire les choses à moitié. Ça a été le cas pour les études, les expéditions et maintenant pour le sport de haut niveau. Si cela m’amène à réaliser un record du monde c’est bien, mais l’objectif n’est pas d’être le premier, c’est d’aller le plus loin possible. Si j’ai l’intuition à un moment donné que je ne peux pas aller plus loin que 260 km alors que le record est à 270 km, c’est quelque chose que j’accepterai totalement car j’aurai exploré tout mon potentiel. En revanche, si je fais le record du monde et que je sens que je n’ai pas été au bout de ce que je me sens capable de faire, là je serai déçue.
Vous ferez votre retour en grand championnat cet été, lors des championnats du monde du 100 km puis des championnats d’Europe de 24 heures, qu’en attendez-vous ?
Il n’y a que trois semaines entre les deux championnats, je ne pourrai donc pas me préparer correctement pour les deux échéances. L’objectif est donc de préparer d’abord les championnats du monde du 100 kms. Car on a une réelle chance de médaille, voire de titre par équipes et je compte bien apporter ma pierre à l’édifice en atteignant les 7h40’. Ensuite, pour les championnats d’Europe, je ne jouerai sans doute pas la carte individuelle, mais j’essayerai a minima de faire un niveau international A, afin d’aider là encore l’équipe de France à grimper sur le podium.
Vous avez écrit plusieurs ouvrages sur vos expéditions et votre parcours, dont le dernier « En mouvement » est sorti en 2021. Vous y parlez de votre cheminement tout en tentant de donner des clés à chacun pour trouver son propre chemin. La course à pied est-elle finalement plus qu’un simple sport pour vous ?
Absolument. C’est un moyen de voyager, de rester en mouvement, c’est une activité physique essentielle pour moi. Mais cela pourrait être autre chose que la course à pied. En fait, c’est le fait de faire des choses qui me font vibrer qui m’apporte un équilibre. La course à pied n’est pas un besoin. Aujourd’hui, ma passion de la vie se matérialise par ce désir de performance dans la course à pied, mais je ne ressens pas d’addiction à la course à pied. C’est un moyen de voyager et d’atteindre une forme de bien-être. C’est un moyen d’être heureuse et en phase avec moi-même. Je pense que l’on a tous une petite voix intérieure qui nous dit d’aller sur tel projet ou tel projet, et si on écoute cette petite voix, on est bien parce que l’on suit sa trajectoire de vie. Mais celle-ci peut très bien changer et on peut avoir d’autre envies et envie de les écouter. Moi aujourd’hui, ce qui me plait c’est la rencontre, c’est le voyage, la recherche du beau geste, comprendre comment on peut repousser ses limites et s’adapter. La course à pied est juste un des éléments qui me permettent d’embrasser la vie pleinement.
Vous avez 40 ans aujourd’hui, comment vous voyez vous dans dix ou vingt ans ?
Je ne sais pas du tout. J’ai très envie de refaire des expéditions. Je les ai mises entre parenthèses pour le moment car ce n’était plus compatible avec le sport de haut niveau. Et comme j’avance en âge, je préférais me concentrer sur la compétition avant qu’il ne soit trop tard. Mais je pense que j’y reviendrai, dans d’autres milieux que le grand froid que j’ai déjà beaucoup parcouru. Je tenterai peut-être aussi d’autres aventures, dans le milieu artistique ou la création de start-up. L’écriture me plait aussi beaucoup. Pour l’instant, je l’ai utilisée pour raconter mes aventures, pour partager et inspirer, mais la fiction pourrait aussi me plaire. Donc, je ne sais pas du tout où je serai dans 10 ou 15 ans, mais si je garde le même état d’esprit, je pense que je serai forcément dans quelque chose qui me fait vibrer à ce moment-là. Et ce quelque chose n’est pas forcément ce qui me fait vibrer aujourd’hui.
Propos recueillis par Véronique Bury
Crédit photo : Olivier Gui/FFA