Triple championne de France du 5000 m et internationale de cross durant près de 13 ans, Christine Bardelle avait été contrainte de mettre un terme à sa carrière en 2018 afin de lutter contre un lymphome, une forme rare du cancer qui touche le système lymphatique. En rémission aujourd’hui, elle se bat pour retrouver ce simple plaisir de courir sans douleur. Rencontre avec une athlète tenace et attachante.
Il y a quatre ans, vous receviez une greffe de la moelle osseuse, en plus de lourds traitements médicaux. Comment allez-vous aujourd’hui ?
Ça va de mieux en mieux. Je suis encore en rémission et j’ai encore des effets secondaires suite à la greffe de moelle osseuse et aux nombreux traitements que j’ai suivis. Je dois notamment être prudente pour éviter de développer certaines maladies infantiles parce que mon système immunitaire est tombé à zéro et que j’ai perdu tous mes vaccins suite à la greffe. Mais dans l’ensemble, on peut dire que je vais mieux. J’ai fêté mes quatre ans de greffe début septembre et je me sens mieux depuis le mois de juin. C’est même la première fois depuis quatre ans que je me sens aussi bien. Il ne faut jamais perdre espoir !
Pensez-vous que votre passé d’athlète de haut niveau vous a aidée dans cette bataille contre la maladie ?
C’est sûr. Avoir pratiqué un sport d’endurance et avoir eu l’habitude de surpasser cette douleur pendant l’effort pour continuer à avancer m’a beaucoup aidée. En course à pied, il y a toujours des matins où on n’a pas envie d’aller courir parce qu’on a mal aux jambes, que l’on ressent les douleurs de la séance de la veille, et puis finalement on y va quand même, on passe au-dessus de la douleur. Dans la maladie, c’est un peu pareil. Il faut savoir oublier qu’on a mal. Les médecins l’ont bien vu, je ne me suis jamais plainte. Même quand j’étais au plus profond du trou, je ne me suis jamais dit que c’était fini. Même quand ils m’ont annoncé que mon pronostic vital était en jeu, que ce n’était pas certain que je m’en sorte, je ne voyais qu’une issue possible : m’en tirer. Ce n’était pas possible autrement. Même dans ma chambre stérile, enfermée et attachée à mes perfusions, je me fixais un objectif physique et mental tous les jours. Ce n’était pas forcément quelque chose d’important, juste quelques mouvements comme une montée de genoux dans mon lit. Mais, j’étais persuadée que cela m’aiderait à m’en sortir. Même chose quand je suis sortie au bout de trois mois en fauteuil roulant : le lendemain j’étais dans la salle de musculation de l’hôpital. Je voulais prendre mon destin en main même si je savais que cela ne ferait pas tout. Dans mon malheur, j’ai eu la chance d’avoir un donneur de moelle osseuse compatible, j’ai donc toujours essayé de rester positive pour pouvoir avancer et guérir.
Depuis, avez-vous déjà essayé de reprendre la course à pied ?
Oui, mais c’est très compliqué. Les chimiothérapies m’ont énormément abimée, notamment au niveau osseux. La fatigue des traitements aussi. Les médecins m’avaient prévenue qu’il faudrait plusieurs années pour récupérer, mais je n’avais pas voulu les croire, dans ma tête je me disais que j’arriverais à reprendre plus vite. J’ai dû me rendre à l’évidence. Tous ces traitements ont vraiment mis mon corps complètement à plat, dans un état de fatigue impensable. Cela a donc été très compliqué quand j’ai essayé au début, au bout d’un an. Entre l’envie et le pouvoir, il y avait trop de douleurs osseuses, musculaires, articulaires… sans compter que j’avais littéralement fondu en perdant 10 kg et toute ma masse musculaire. Ça a été très dur de remonter la pente et il a fallu y aller progressivement. Aujourd’hui, je fais pas mal de marche et de vélo, du pilates aussi, entre 30 minutes et une heure tous les jours. J’ai la chance de vivre en pleine nature, cela m’aide beaucoup à sortir de chez moi.
Pensez-vous que vous pourrez reprendre la course à pied un jour ?
Oui, j’aimerais bien. Je vais d’ailleurs essayer de faire bientôt un trail de 10 km. C’est un petit objectif, mais j’ai envie de le tenter, en sachant que je pourrai alterner marche et course à pied. Je n’aspire pas à retrouver mon niveau d’avant, ma carrière est derrière moi désormais. J’aimerais juste pouvoir refaire quelques petites courses, un 10 km sur route, et reprendre du plaisir à courir, car j’adore la course à pied. Je pense que je vais finir par y arriver d’ici quelques mois, peut-être un an. Je sens que les douleurs et les effets de la maladie commencent à s’estomper.
La course à pied a fait partie de votre vie durant de longues années, qu’est-ce qui vous plaisait le plus dans cette pratique ?
Le dépassement de soi jour après jour, c’est ce que j’aimais le plus. J’adorais aussi les séances sur piste où il fallait courir vite, mais aussi le côté nature. C’est ce dernier aspect que j’aimerais retrouver, car je sais que je n’éprouverai plus de plaisir à aller courir sur une piste de 400 m. Il faut juste que je laisse le temps au temps.
Lorsque vous vous retournez sur vos années d’athlète de haut niveau, quels souvenirs vous donnent le sourire ?
Il y en a beaucoup. J’éprouve déjà une grosse satisfaction d’avoir pu exploiter mon potentiel et d’avoir été au maximum de mes capacités, car je ne pense pas que j’aurais pu faire mieux que mes chronos et mes différents records. Je n’ai donc pas de regrets sur ce plan-là. Et puis, je me suis surtout fait plaisir lors de nombreuses compétitions et je garde de très bons souvenirs d’entraînements, de stages et de partage avec d’autres athlètes. C’est ce qui m’aide à avancer aujourd’hui.
Vous êtes l’athlète française qui a participé le plus de fois (11) aux championnats d’Europe de cross. Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre discipline et sur l’athlétisme en général ?
Je suis une passionnée d’athlétisme et de sport en général, et cela me fait toujours plaisir de voir des jeunes qui arrivent en équipe de France. Après, en demi-fond, c’est compliqué. Entre avoir le potentiel et pouvoir l’exploiter à haut niveau, il y a une différence, qui demande un gros investissement personnel. Mais quand on en a les capacités, je pense qu’il faut se donner les moyens pour voir jusqu’où on peut aller. En tous cas, quand on voit les niveaux des autres pays européens, il n’y a pas de raison qu’on n’ait pas autant de bons éléments en France que nos voisins.
Vous auriez pu devenir entraineure à votre tour ?
Oui. J’ai toujours adoré l’entraînement et ça m’a toujours intéressée de comprendre comment on pouvait faire progresser quelqu’un. Mais j’habite à Buis-les Baronnies, dans la Drôme provençale, c’est très excentré et la piste la plus proche de chez moi est à une heure de route. Il aurait fallu que je sois plus proche d’un club ou d’une piste pour ça.
À quoi ressemble votre quotidien aujourd’hui ?
J’ai une brasserie à Buis-les-Baronnies avec mon compagnon, et le but est de pouvoir y travailler à temps plein d’ici quelque temps. Jusqu’à présent, les oncologues me déconseillaient de travailler afin de bien récupérer des traitements. Je devais aussi éviter le contact avec le public. Mais l’objectif est désormais de reprendre progressivement le travail, tout en pratiquant aussi une activité physique et sportive sans pression et sans douleur à côté.
Qu’est-ce qui vous porte ?
L’envie de sensibiliser davantage les gens au don de moelle osseuse. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement personne qui est inscrit sur les registres, alors qu’un don de moelle osseuse, c’est un prélèvement sanguin et cela peut sauver des vies ! Même chose pour le don du sang. Si je n’avais pas eu ce donneur de moelle osseuse, je ne serais plus là aujourd’hui. C’est ce qui me motive à prendre la parole et à alerter les gens… J’ai aussi envie de montrer que, même quand on est malade, on peut continuer à faire du sport d’une manière ou d’une autre. C’est d’ailleurs pour cette raison que je vais participer à ce trail de 10 km. Je veux montrer que c’est possible.
Propos recueillis par Véronique Bury
Crédit photo : Thomas Bianchin, Bruno Poirier, Stéphane Kempinaire