Thibaut Garrivier : « Ce que je veux, ce n’est pas franchir la ligne d’arrivée, c’est gagner »
Thibaut Garrivier a participé à son premier trail un peu par hasard, il y a dix ans. Depuis, cet ancien skieur nordique et féru de VTT a achevé ses études de médecine, et a décroché sa sélection en équipe de France pour les championnats du monde de trail qui auront lieu début novembre. Une réussite qu’il explique par sa soif de performances.
Vous venez de remporter le marathon des trois cols de la Gapen’Cîmes, dix ans après votre premier trail au même endroit. C’est un joli symbole, non ?
Je ne suis pas très symbole, mais cela me faisait plaisir de revenir courir sur cette course. Cela faisait plusieurs années, d’ailleurs, que je voulais y aller, mais à chaque fois, cela ne collait pas avec mon calendrier. J’ai réalisé que cela faisait pile dix ans le jour du départ et cela m’a fait sourire sur le moment. C’est surtout satisfaisant de voir le chemin parcouru depuis ce premier trail.
D’autant que vous avez décroché votre sélection en équipe de France pour les Mondiaux de trail qui auront lieu début novembre…
C’est une fierté d’avoir pu m’investir pour réussir à atteindre ce niveau. Car c’est ce qui m’a toujours fait rêver dans le sport : le haut niveau. Je fais du sport pour la performance. Je sais qu’il me reste encore un peu de chemin à parcourir, mais c’est justement ce qui est sympa dans le sport, c’est infini : les progrès, la recherche, les choses à mettre en place pour continuer à progresser.
Vous avez un parcours atypique puisqu’en parallèle vous avez également étudié durant treize ans pour devenir radiologue. Comment avez-vous réussi à jongler entre études de haut niveau et pratique sportive intensive ?
Quand on est jeune, on se fatigue généralement moins vite. On peut donc en faire beaucoup plus sans trop se fatiguer. Je faisais donc de grosses semaines à l’hôpital tout en allant m’entrainer derrière. Je pense que j’avais aussi une énorme volonté. De ma 1ère à ma 4e année de médecine, j’ai été contraint d’arrêter totalement le sport pour me consacrer uniquement à mes études. Cela a généré beaucoup de frustration chez moi. Je me souviens que je jalousais mes potes de lycée qui avaient continué leur sport et étaient quasi tous devenus des sportifs de haut niveau dans leur spécialité alors que moi j’avais dû arrêter pour étudier toute la journée, cloitré. Quand j’ai repris véritablement après mon concours d’internat (6e année), je n’avais donc qu’une envie : progresser.
Cela n’a quand même pas dû être évident de tout concilier…
Cela a été un sacerdoce pendant tout mon internat. Je travaillais beaucoup et je m’entraînais comme je pouvais. La priorité a toujours été donnée aux études. De toutes façons, c’était impossible de demander un quelconque aménagement. J’ai essayé lorsque j’étais aux portes de l’équipe de France, dans ma 10e année, mais on m’a ri au nez en me demandant si c’était une blague. Je n’ai donc pas cherché à aller plus loin. Et j’ai transformé peu à peu mes vacances en stages d’entraînement et j’ai priorisé chaque moment de temps libre pour m’entraîner. Forcément, j’ai fini par me blesser. Deux fractures de fatigue en un an en 2020 et 2021. C’est à ce moment que j’ai décidé de déménager à Annecy pour me rapprocher des montagnes et finir ma surspécialisation. Maintenant que mes études sont terminées (depuis mai 2022), cela va beaucoup mieux. J’ai pu diminuer ma charge de travail à l’hôpital par trois et je ne fais plus que 30 heures par semaine. C’est une grande amélioration. Non seulement cela me permet de m’entrainer davantage, mais je peux aussi consacrer plus de temps à la récupération, à la musculation, aux aspects physiologiques et à tout un tas de trucs que je n’avais pas le temps de faire.
Le trail justement, comment y êtes-vous arrivé ?
Petit à petit. J’ai commencé à courir lorsque j’étais à Marseille, mais au départ, c’était juste pour me défouler et de manière très épisodique. Un pote m’a ensuite sollicité pour venir compléter l’équipe de cross de son club et j’ai commencé à faire mes premiers tours de piste. Peu à peu, je me suis pris au jeu et j’ai commencé à aller courir en nature, notamment dans les montagnes quand je rentrais chez mes parents, à Gap. C’est comme ça que je me suis retrouvé sur mon premier trail en 2012. Et c’est ce même copain qui m’a donné un dossard pour le Trail du Ventoux. Mon deuxième trail, celui qui a tout déclenché.
Vous avez connu un déclic à ce moment-là ?
Je ne peux pas dire ça. Mais c’est sur cette course que j’ai réalisé que courir me plaisait et que j’avais envie d’en faire plus. À l’époque, je m’essayais aussi un peu au triathlon, mais j’ai opté pour le trail, qui demandait beaucoup moins d’effort pour réussir à s‘entraîner tout en en continuant mes études.
Le plaisir de courir n’est donc pas venu tout de suite ?
Je ne suis pas un coureur à la base. J’ai d’ailleurs mis longtemps avant de prendre plaisir à aller courir. Plus jeune, j’avais fait beaucoup de VTT, et pour moi le plaisir dans les chemins, c’était avant tout les descentes sur le vélo. Or, quand on n’a pas l’habitude de courir, ce n’est évident de le faire, surtout en montagne et en descente. À chaque fois, je ne pouvais pas m’empêcher de m’imaginer sur mon vélo. Je n’aimais pas la comparaison et j’ai dû faire pas mal de travail au niveau musculaire avant de me sentir plus à l’aise et y éprouver enfin du plaisir.
Vous aviez aussi pratiqué le ski de fond. Est-ce que vous pensez que cela a pu vous aider à performer plus rapidement dans cette nouvelle discipline ?
J’ai effectivement fait trois années de ski nordique jusqu’à un niveau national lorsque j’étais au lycée. Mais je pense que mes qualités physiologiques se sont surtout développées quand j’avais entre 6 et 15 ans et que je partais avec mes parents en randonnée. Après la volonté de m’investir dans le sport, suite à cette frustration durant mes premières années de médecine, a sublimé le truc. Car je pense que j’ai finalement toujours été un compétiteur au plus profond de moi. Je ne m’en rendais peut-être pas compte lorsque je faisais du ski, mais je le sais aujourd’hui, c’est la compétition qui m’intéresse avant tout. La compétition et la performance. Ce que je veux, ce n’est pas franchir la ligne d’arrivée, c’est gagner.
Pratiquez-vous toujours le ski nordique ?
Depuis que je suis installé à Annecy, je me suis remis au ski de fond l’hiver. Cela me permet de faire une coupure, car le trail est un sport très traumatique, avec des efforts très longs. Le corps a besoin de récupérer et de régénérer ses structures. Cela passe donc par des mois de coupures. Le ski de fond est un bon moyen pour se remettre de sa saison en passant sur un sport porté. En plus, c’est une discipline qui reste très proche des filières énergétiques du trail, notamment d’un point de vue aérobie. Cela permet donc d’effectuer une base solide sur laquelle on peut rapidement construire des séances à la sortie de l’hiver. Cela permet de prendre de l’avance tout en m’adaptant au terrain de jeu et aux conditions météos. Car c’est parfois très compliqué de courir l’hiver quand on vit à la montagne.
Comment vous projetez vous désormais que vous avez plus de temps à consacrer à l’entraînement et au haut niveau ?
Il y a deux évènements sur lesquels j’aimerais vraiment réussir à faire une belle course un jour : l’UTMB et les Mondiaux de trail. « Une belle course », cela veut dire gagner, si possible, ou au moins être content de mon parcours. Pour mon premier UTMB, cette année, cela ne s’est pas du tout passé comme je l’espérais puisque je termine dixième en courant une grosse heure de plus que ce que j’avais prévu. Cela a donc été une grosse déception et j’espère que je ferai mieux la prochaine fois. Pour les Mondiaux, l’objectif sera double, car on visera aussi le titre par équipes. Cela fait un moment que je les attends : ils devaient avoir lieu en novembre 2021 avant d’être reporté en février 2022 puis en novembre 2022. À chaque fois, j’ai été obligé de me requalifier. À quelques semaines de l’évènement, je me méfie donc un peu… En tous cas, je suis fier d’y aller pour représenter l’équipe de France.
Propos recueillis par Véronique Bury