Petit, Nicolas Martin aimait jouer au foot et partir chasser avec son père, mais c’est sur les chemins de trail et sur le tard qu’il s’est fait un nom. Fort aujourd’hui d’un joli palmarès, il vient, à 36 ans, d’y rajouter une ligne supplémentaire en s’emparant de la deuxième place de l’épreuve de trail long des derniers championnats du monde, disputés en Thaïlande début novembre.
Vous venez de remporter votre deuxième médaille d’argent individuelle aux championnats du monde de trail, six ans après la première. Cette performance a-t-elle une saveur différente aujourd’hui ?
Très différente ! Ma première médaille, en 2016, marquait le début de ma carrière semi-professionnelle. J’avais décidé de me dégager un peu plus de temps pour ma pratique afin d’aller chercher des médailles, et j’avais donc pris le départ avec le sentiment que ce serait un échec de ne pas finir sur le podium. Depuis, six années se sont écoulées. J’ai eu d’autres résultats significatifs, avec des hauts et des bas. Le niveau s’est densifié. Dans mon esprit, une nouvelle médaille mondiale en individuel n’était plus un objectif. Je n’y croyais plus vraiment. Donc cette médaille a une saveur très différente, je l’apprécie davantage. Ça a été une grosse satisfaction de sortir une grande course le jour J, et ce, même s’il y avait un peu moins de densité cette année. Il y avait un coureur vraiment de top classe mondiale et il a gagné haut la main (l’Américain Adam Peterman s’est imposé en 7h15’, contre 7h28’ pour le Français, NDLR). J’avais de supers sensations en fin de préparation et au matin de la course, je savais que j’étais en mesure de batailler pour une médaille. Il n’y avait pas 50 coureurs meilleurs que moi sur le papier au départ. Quand on fait partie des cinq meilleurs, la médaille n’est plus un rêve inaccessible.
Cet été, vous aviez pourtant décliné votre sélection pour les Europe…
Ça a été un choix difficile, mais nécessaire. Je souffrais d’une blessure pas totalement invalidante (œdème osseux entre les deux parties de la rotule), mais qui me pesait beaucoup mentalement et générait des douleurs quotidiennes au genou dès que j’augmentais la charge d’entraînement. J’ai donc préféré décliner pour me soigner correctement. J’ai beaucoup de respect pour le maillot de l’équipe de France et je considère qu’il faut savoir laisser sa place quand on ne peut pas être à 100%, surtout dans notre pays où il y a d’autres coureurs de niveau similaire au mien. J’en ai profité pour me soigner et, après ma rééducation, j’ai pu reprendre sérieusement fin juillet afin d’aller cherche ma sélection sur les courses de l’UTMB.
En une dizaine d’année vous vous êtes construit l’un des plus jolis palmarès français… Pourtant vous êtes venu sur le tard à la compétition. Comment expliquez-vous votre réussite ?
La passion avant tout. J’ai découvert la course à pied de manière sérieuse à seulement 24 ans, mais j’ai beaucoup couru avant. J’ai grandi à la campagne et j’ai toujours été un enfant très actif. Mes parents sont issus du milieu paysan, ça doit être dans les gênes. Je pense aussi que l’activité physique que l’on pratique enfant conditionne beaucoup les performances futures. Moi, je n’ai jamais eu de console ou de jeux vidéo. Adolescent, je passais mes après-midis à jouer au ballon dehors, avec les copains, ou à faire du vélo à travers les champs. J’accompagnais aussi mon père à la chasse, on marchait beaucoup. Même si je n’évoluais pas dans une famille de grands sportifs, j’ai eu une enfance très active, en plus du foot que j’ai pratiqué en club pendant huit ans. Je pense que j’avais aussi une certaine forme de motivation. Quand j’ai commencé la compétition, j’avais besoin de montrer que je pouvais réussir. Le sport est devenu une manière de réussir ma vie.
Comment êtes-vous venu à la course à pied justement ?
J’ai arrêté le foot vers 15 ans parce que je partageais la même passion que mon père pour la chasse. On avait des chiens et j’adorais aller en forêt avec eux, voir et comprendre leur travail par rapport au gibier. Mais c’était compliqué de pratiquer un sport collectif avec des obligations de matches qui tombait au même moment que la période de la chasse, j’ai donc arrêté quand j’ai eu l’âge de pouvoir aller à la chasse. Je me suis tourné naturellement vers la course à pied ou plutôt le trail, car chez moi, après 200 m de bitume tu es déjà dans les sentiers.
Qu’est-ce qui vous a plu dans la pratique de la course à pied et du trail ?
Sa simplicité. Il suffit juste d’avoir une paire de basket, un short et un t-shirt et on peut partir courir. J’aime aussi le vélo, mais il y a cette dimension matérielle qui me dérange un peu plus. J’aime aussi l’effort physique, mais chez moi il n’est pas suffisant. Je ne pourrai pas courir sur un tapis, il faut que cet effort soit associé à un environnement. J’ai besoin d’être au contact de la nature, d’aller explorer de nouveaux endroits, et c’est ce qui me plait dans le trail. Ce qui me fait durer sans doute aussi. Car l’entraînement reste un vrai plaisir pour moi, je n’ai aucune difficulté à y aller, au contraire : j’adore ça ! Surtout les sorties longues en montagne dans de beaux paysages quand il fait grand soleil. Par exemple, des sorties un peu toniques de deux heures et demie ou trois heures, dans des paysages pas trop techniques, où l’on peut courir tout en profitant du paysage. J’adore passer au même endroit à différents moments de l’année et voir la nature évoluer au fil des saisons.
À quoi ressemble votre quotidien aujourd’hui ? Êtes-vous à 100% athlète ou travaillez-vous en parallèle ?
Aujourd’hui, je suis pro dans le sens où je peux organiser mon emploi du temps comme je le souhaite. J’ai juste une activité de consulting et d’accompagnement d’athlètes à distance en plus des actions que je peux faire pour mes partenaires. Le cœur de ma journée est donc entièrement organisé autour de ma pratique sportive. C’est une vraie chance, mais cela n’a pas toujours été le cas. Quand j’ai commencé à m’entraîner plus sérieusement en 2010, j’étais à temps plein (magasinier, puis livreur). Puis, à 30 ans, j’ai décidé de me tourner vers un emploi saisonnier car j’avais le sentiment de ne pas explorer toutes mes qualités et j’avais peur de le regretter plus tard. Pendant quatre ans, j’ai donc travaillé uniquement l’hiver dans un magasin de ski afin de consacrer le reste de mon temps à l’entraînement… Mais depuis que je suis revenu dans ma région d’origine, je suis loin des stations et je ne peux plus fonctionner ainsi. Je vis donc modestement de mes contrats de sponsoring et j’ai commencé à développer il y a deux ans cette activité de consulting sur les conseils de mon entraîneur Patrick Bringer qui avait déjà une structure adéquate. Pour le moment, je limite le nombre d’athlètes auprès desquels j’interviens afin de garder du temps pour ma pratique sportive, mais j’aime ça. D’autant, que c’est important pour moi de transmettre tout ce que les autres m’ont appris.
Vous évoquiez Patrick Bringer, justement. Quel rôle a t-il joué dans votre parcours ?
Un rôle majeur ! Je ne pense pas que j’aurais eu cette carrière si je ne l’avais pas rencontré. J’aurais peut-être travaillé avec un autre entraineur, mais aurais-je eu le même palmarès ? Je ne sais pas. Nous sommes amis, maintenant. C’est une belle relation et une belle aventure avec des valeurs importantes pour moi, comme la persévérance, le fait d’accorder sa confiance et de s’impliquer sur le long terme. Je trouve que c’est beau de refaire une médaille mondiale six ans après avec le même entraîneur. C’est une stabilité qui m’est précieuse.
Vous dites aussi souvent que vous êtes très attaché au groupe, à l’esprit d’équipe, au partage, que vous préférez les stages à la compétition… Est-ce que cela a toujours été le cas ?
Oui. Je ne pense pas être un grand compétiteur. Je suis assez stable dans ma capacité à reproduire des résultas, mais je n’ai pas forcément cette capacité qu’ont certains athlètes de se transcender dans les grands rendez-vous. Cela ne correspond pas à mon caractère. Ce que j’aime, c’est faire du sport, donner le meilleur de moi-même, mais pas forcément battre à tout prix les autres. Quand je mets un dossard, je ne suis pas dans une logique « la victoire ou rien ». Si j’ai le sentiment que je suis une belle version de moi-même et que je fais quelque chose qui me rend heureux, cela me va. Chacun est différent. Il faut travailler avec ses forces et ses faiblesses. Cela m’a apporté une forme de régularité mais cela a peut-être limité les pics de très grande performance.
Vous ne vous êtes jamais essayé à l’ultra. Cela ne vous tente pas ?
Pas trop. Cela ne correspondant pas forcément à ce que j’aime faire à l’entraînement au quotidien. Je pense que j’essayerai sans doute dans les années à venir, parce qu’une course comme l’UTMB me fait quand même envie, ne serait-ce que pour le coté symbolique de faire le tour du Mont Blanc. Mais je sens que je n’ai pas assez d’amour pour ce type d’effort pour m’y investir assez longtemps et y être performant.
Comment et où vous voyez vous dans cinq ou dix ans ?
Je ne me projette pas trop. J’ai toujours pensé que j’arrêterais au moment des Jeux olympiques de 2024, quand j’aurai 38 ans. Mais je ne sais plus trop aujourd’hui. Tant que j’aurai envie de faire du sport et de m’entraîner dur, je continuerai. En revanche, dès que je ne ressentirai plus l’envie de m’investir, je laisserai ma place aux autres. Il n’y a pas des centaines de contrat dans le trail, et quand on n’a plus envie de s’y investir à 100%, autant laisser la place aux autres. Je ne sais pas encore ce que je ferai après. Je suis quelqu’un qui vit dans le moment présent, et je ne m’inquiète pas pour de l’avenir. Quand on est motivé, on trouve toujours des choses à faire.
Qu’est-ce qui vous motive encore aujourd’hui ?
J’adore m’entraîner, simplement. C’est quand même plus que sympa d’avoir une vie de sportif professionnel et de faire ce que l’on aime tous les jours. Et puis, ce qui est très important pour moi, c’est d’avoir aussi du temps pour m’intéresser à d’autres choses, ne pas être stressé par le quotidien. C’est pour cette raison que j’ai fait le choix d’en faire moins sur le plan professionnel afin de pouvoir m’investir vraiment dans ce que je fais et avoir du temps à coté, ce qui est nécessaire à mon équilibre de vie. Je vis à la campagne, j‘ai un grand potager familial dont je m’occupe avec mes parents, j’ai des poules, j’adore aller me balader en forêt, ramasser des champignons, ou me poser pour lire un bouquin pendant une ou deux heures. C’est une vie assez simple, très différente de la ville, avec moins de tentation, qui m’épanouit. Je pense d’ailleurs que c’est très important de savoir s’écouter pour avoir une vie et des rêves qui nous conviennent. Aujourd’hui, on vit dans une société où beaucoup de gens essaient de vivre les rêves des autres au lieu de vivre leurs propres rêves. Moi, j’ai réussi à trouver ce qui me rend véritablement heureux et c’est ce qui est le plus important dans la vie.
Propos recueillis par Véronique Bury
Crédit photo : Yves-Marie Quémener, Cyrille Quintard