À 17 ans, Bastien Augusto ne s’imaginait sans doute pas finir un jour avec le maillot de l’équipe de France sur le dos. Pourtant, il n’a pas hésité à se lancer corps et âme dans l’aventure de la course à pied une fois son tour de France effectué avec les compagnons du devoir. Élu meilleur ouvrier de France dans la maçonnerie, le voilà cinq ans plus tard parmi les meilleurs crossmen tricolores. Un parcours atypique qui force le respect.
Pour votre première année chez les seniors, vous avez terminé premier Français à Allonnes lors du cross de sélection pour les championnats d’Europe. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ca faisait un moment que je cherchais à réaliser une course de référence, qui représentait ce que je réalisais à l’entraînement. La performance est sortie à Allonnes. C’est peut-être un déclic pour la suite. La forme a continué à monter depuis. Je vais participer à Turin à mon premier grand championnat seniors. J’ambitionne un top 10 et une médaille par équipes. Si je fais mieux, ce sera du bonus. J’arrive avec la casquette d’outsider. Il faudra être prudent en début de course, sans être sur la réserve. L’an dernier, J’avais comme but de monter sur le podium aux Europe de cross chez les espoirs, mais ça ne s’est pas passé comme je voulais. J’ai complètement raté ma course et ça a été une grosse déception. Je me suis donc fixé cette fois un objectif un peu moins important.
Vous avez connu une saison 2022 contrastée, avec un bon début de saison puis une blessure qui vous a coupé dans votre élan…
J’ai en effet réussi un bel hiver, en étant sacré champion de France Elite du 3000 m puis en terminant deuxième du cross long aux championnats de de France de cross derrière Morhad Amdouni. J’ai aussi été vice-champion de France du 10 km derrière Jimmy Gressier. Mais je me suis blessé derrière et je n’ai pas pu atteindre mon objectif de l’été, qui était de participer aux championnats d’Europe de Munich. J’ai donc pris le temps de revenir. En octobre, après un stage à Font-Romeu, j’ai couru les 10 km de Lille en 28’15. C’est peut-être un bon chrono (7e meilleur performeur français de tous les temps), mais j’étais déçu à l’arrivée, car je pensais que je pouvais faire beaucoup mieux. J’ai donc continué à m’entrainer pour arriver en forme à Allonnes.
Avant l’athlétisme, vous avez pratiqué le foot et le vélo. Qu’est-ce qui vous a fait bifurquer vers la course à pied ?
À 16 ans, j’ai commencé à faire le tour de France avec les compagnons du devoir (il a fini meilleur apprenti de France comme maçon en 2017 ; NDLR). Les journées étaient très chargées avec le travail et ça devenait très difficile d’associer vélo et boulot, surtout l’hiver avec la nuit qui tombe plus vite. Sans compter que pour être performant à vélo, il faut aussi faire pas mal d’heures sur la selle. Alors qu’en course à pied, il est plus aisé d’effectuer du qualitatif sur une séance d’une heure. C’est aussi plus facile de courir la nuit car les stades sont éclairés. J’ai donc commencé à courir pour cette raison et parce que c’est un sport qui me plaisait déjà. Je me suis ensuite inscrit à mes premières courses et j’ai disputé quelques corridas, juste comme ça. J’ai pris ma première licence en 2018 pour participer aux cross en janvier et février. Mais j’ai fini par me blesser et je n’ai pas pu participer aux championnats de France. J’ai donc fini la saison sur le vélo avant d’arrêter en septembre pour me consacrer uniquement à la course à pied. L’idée était de ne plus me blesser.
Pourquoi ce choix ? Avez-vous eu un déclic ou étiez-vous déjà conscient de vos qualités en course à pied ?
Il n’y a pas vraiment eu de déclic. Mais je savais depuis un moment que j’avais de grosses capacités. Quand j’étais plus jeune, je faisais du foot, et sans m’entraîner plus que ça, je gagnais déjà tous les cross UNSS. Même à vélo, sans m’entraîner beaucoup, j’avais de bons résultats. Beaucoup de personnes m’ont d’ailleurs conseillé de me tourner vers la course à pied pour cette raison. Par ailleurs, en 2018, j’avais effectué des tests d’effort sur tapis avec un médecin du sport de la Fédération Française de Cyclisme. Lui aussi m’a confirmé que j’avais de grosses capacités cardiaques, avec une VO2 max de 84 à 18 ans. Il m’a dit qu’il fallait l’exploiter mais en y allant doucement, surtout en course à pied. Car c’est très traumatisant et il faut habituer le corps. Petit, je rêvais de devenir cycliste professionnel, mais je me suis finalement tourné vers la course à pied, car à vélo ce n’est pas forcément le plus fort qui gagne. L’aspect tactique est beaucoup plus important. C’est un choix que j’ai fait en 2018 et je ne le regrette pas aujourd’hui. J’en suis même très content.
Qu’est-ce qui vous a plu dans la course à pied ?
Ce que j’aime avant tout, ce sont les sports individuels. La souffrance individuelle. Le fait de se faire mal, d’aller au bout de ses propres limites, les repousser sans cesse. C’est ce qui me plait, s’entrainer dur et se dépasser dans l’effort.
Pour autant vous avez privilégié votre parcours professionnel et vous êtes parti sur les routes de France à 16 ans, avant même de commencer à performer dans le sport. Votre parcours est très atypique…
C’est vrai que ce n’est pas très commun, mais ça m’a finalement permis d’être autonome plus rapidement. J’ai toujours adoré le sport, depuis tout petit. Mais quand je suis parti chez les compagnons du devoir, je ne m’imaginais pas du tout pouvoir un jour vivre de mon sport. Je voulais avant tout avoir une stabilité dans ma vie. C’était mon principal objectif. Ce n’est qu’après, une fois mon diplôme en poche, que je me suis dit que je pouvais peut-être essayer de faire quelque chose dans le sport. À 18-19 ans je n’avais rien à perdre ! Car j’avais déjà cette stabilité derrière. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes arrêtent leurs études avant la fin, moi j’ai la chance d’avoir déjà un métier. Demain, je peux me blesser, je sais que j’aurai du travail derrière. Ça m’apporte une certaine sérénité.
Vous dites aussi souvent que cela a forgé votre caractère…
Oui, je pense que ce tour de France m’a fait grandir plus vite, je suis devenu plus vite mature. Ça m’a aussi apporté un certain cadre et une rigueur dans l’entraînement. Aujourd’hui, même s’il pleut et que je peux plus facilement décaler mes entraînements en étant athlète professionnel, je me lève quand même à 7 heures et je vais m’entrainer. Je n’aime pas rater une séance. Je sais qu’il faut travailler pour réussir.
Vous avez signé un contrat avec l’armée en mars 2021, qui vous permet désormais de vous consacrer à 100 % à la course à pied. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Énormément de choses. Avant, même si j’essayais d’aménager mon emploi du temps, de ne travailler que quatre jours sur cinq, c’était compliqué. Je bossais de 8h à 17h et je m’entrainais avec la fatigue de la journée, sans pouvoir doubler. Aujourd’hui, je m’entraine et je vis comme un athlète professionnel. C’est-à-dire que je peux partir en stage en altitude, faires des siestes pour récupérer, voir un kiné trois fois par semaine, et m’entraîner deux fois par jour. Ça m’a également permis de rajouter des séances de musculation et tout un tas de choses que je ne pouvais pas faire avant. Ça fait un peu plus d’un an et ça commence à payer.
Vous performez aussi bien sur 10 km que sur 1500 ou 3000 m. Avez-vous tout de même une distance de prédilection ?
Non, je n’ai pas de préférence. J’aime bien toutes les distances, que ce soit du cross, de la piste, du court ou du long. On n’a d’ailleurs pas encore réussi à déterminer si j’étais plutôt un coureur de 1500 m ou de 10 000 m, car j’ai réussi à performer partout. Parfois, je me dis qu’il faudrait peut-être que je me spécialise pour les années à venir, mais en même temps, ça me plait de varier les distances. Je trouve ça moins monotone et les saisons passent plus vite. Sans compter que je trouve que c’est aussi très complémentaire. Quand je fais du long, je sens que ça m’aide à être plus fort sur le court, et vice versa. Je ne vois donc pas de raison de changer quoi que ce soit.
Et quand vous pensez aux Jeux olympiques de Paris, sur quelle distance vous imaginez-vous ?
En 2021, lors de ma première vraie saison sur piste, j’ai fait 3’38 sur 1500 m (3’38’’33 ; NDLR). Je n’étais qu’à trois secondes des minima pour les J.O. et on s’est dit que je serais peut-être un coureur de 1500, car je n’avais pas encore effectué de véritable prépa sur cette distance. Mais depuis, j’ai aussi progressé sur le long et les derniers tests montrent que ça pourrait être bien, aussi, de rester sur 5000 ou 10 000. Je pense que ça devrait se décider cette saison. Rien n’est fermé. Le plus important sera d’être fort en 2024 et c’est tout.
Et à plus long terme quels sont vos objectifs ? À quoi rêvez -vous ?
Mon coach, Patrick Ribeiro, m’a toujours dit que l’année la plus importante était la dernière dans la catégorie espoirs (2020-2021). Et ça a été celle où j’ai été le plus performant. Je n’ai donc pas trop senti ce passage chez les seniors. Mais maintenant, il faut continuer à travailler pour confirmer. Beaucoup de personnes me parlent des Jeux olympiques de Paris. Mais je suis jeune, je n’aurai que 24 ans. Pour moi, l’âge idéal, ce sera à Los Angeles en 2028. Et même en 2032, je n’aurai que 32 ans. J’ai donc trois olympiades devant moi. Je vais essayer de ne pas me bruler les ailes car je veux durer dans le temps. C’est ce qui me fait rêver : avoir la carrière la plus longue possible. Un peu comme Yoann Kowal. Je trouve que ce qu’il a fait depuis ses 18 ans est très beau, car il a réussi à être performant tout au long de sa carrière et jusqu’à encore maintenant, à plus de 30 ans (il a débuté sur 1500 m et tente maintenant de se reconvertir sur la route, après avoir entre-temps brillé sur 3000 m steeple). C’est ce que je veux faire. Je n’ai pas envie que l’on parle de moi deux ou trois ans et que tout s’arrête après. Bien sûr, je pense aussi aux médailles, mais pour le moment, le rêve est d’abord de participer aux Jeux olympiques. Et avant ça, il y a d’autres étapes comme ces championnats d’Europe. J’espère y être performant. J’’essayerai ensuite de me rapprocher des minima pour les Mondiaux de Budapest, et après seulement, je penserai aux Jeux olympiques. Une étape après l’autre.
Propos recueillis par Véronique Bury