Après avoir excellé au plus haut niveau en course d’orientation (3e mondial en 2010 sur le sprint), c’est désormais sur les sentiers de trail que Frédéric Tranchand continue de graver son nom. Médaillé de bronze des derniers championnats du monde avec l’équipe de France sur le format court, il s’alignera au départ de la finale du circuit mondial de sky-running, dont il avait pris la deuxième place en 2022.
Sept mois après vos premiers championnats du monde de trail, vous avez décroché une médaille de bronze par équipes et une neuvième place individuel à Innsbruck en juin. C’est une satisfaction ?
C’était mon objectif de la saison en parallèle du circuit mondial de sky-running. Mais cela a été aussi la course la plus longue, dénivelé compris, que j’ai faite de ma carrière. Le niveau était très relevé cette année, avec un engouement de plus en plus important pour ce championnat du monde. C’est bien. Mais les semaines avant le championnat, j’avais un programme un peu trop ambitieux avec plusieurs courses et une formation pour devenir accompagnateur en haute montagne. Je pensais que ça allait passer, mais je suis arrivé avec un peu de fatigue. Ce n’était pas optimal, et je le regrette. Je n’étais pas hyper serein avant de prendre le départ. J’avais prévu d’utiliser des bâtons dans une montée pour me préserver et pouvoir accélérer plus tard sur le parcours, mais ils ont changé le tracé la veille de la course, et la montée n’était plus aussi raide que prévue. L’utilisation des bâtons n’avait plus le même intérêt : j’ai perdu pas mal de temps sur les leaders à cause de ça, et je n’ai pas réussi à les rattraper par la suite. Au final, mon classement n’est pas si mal, car autour de moi ce sont des références mondiales, mais j’aurais peut-être pu faire un peu mieux en arrivant un peu plus frais et en optimisant certains passages de la course. Je reste satisfait car c’était mon niveau et je suis content de notre médaille par équipe.
Votre histoire avec le trail est assez récente, puisque vous aviez signé des débuts fracassants en 2020, en prenant la deuxième place de Sierre-Zinal, à seulement 30 secondes de Kilian Jornet…
Je ne me rendais pas compte du niveau que je pouvais avoir à ce moment-là. Je savais juste que plusieurs orienteurs s’étaient déjà essayés au trail en réalisant de très bons résultats. L’Espagnol Antonio Martinez Pérez, que je connaissais très bien, avait obtenu plusieurs top 10 sur des compétitions de référence. Comme on avait déjà participé à un trail ensemble après une course d’orientation en Chine, et que je l’avais battu assez largement, j’imaginais que cela pourrait aussi fonctionner pour moi. J’avais d’ailleurs prévu de courir la Sierre-Zinal en 2020, car j’étais invité. C’est devenu un véritable objectif à partir du moment où j’ai su que la saison de course d’orientation n’aurait pas lieu à cause du Covid. Cela avait d’ailleurs été une édition un peu particulière, car on n’avait pas tous couru ensemble, en raison des adaptations sanitaires. Je m’étais élancé tôt le matin à la fraîche alors que Kilian Jornet était parti dans l’après-midi sous des températures beaucoup plus élevées. Cela a été un avantage et peut expliquer ce résultat. En revanche, lors de la finale du circuit Golden Trails Series, cette même année, on a pu courir tous ensemble et j’ai remporté la première étape devant de supers traileurs, dont Jim Walmsley (vainqueur de l’UTMB cette année). C’est ce jour-là que j’ai réalisé que je pouvais faire des choses en trail.
Vous avez découvert la course à pied grâce à la course d’orientation. Comment se retrouve-t-on à dix ans à lire des cartes en pleine nature ?
J’ai grandi à la campagne et il y avait un club assez dynamique dans le village à côté de chez mes parents. Mon frère aîné en faisait avec des copains. On allait sur ses courses avec mes parents et on participait ensemble aux parcours loisir, en marchant. Je trouvais ça chouette et, assez rapidement, j’ai eu envie d’en faire aussi.
Vous avez rapidement décroché vos premiers résultats. Qu’est-ce qui vous a plu ?
J’aime bien la discipline en soi, courir dans la nature, construire son propre itinéraire. J’adore aussi lire les cartes. C’est très ludique. Le fait d’avoir des résultats assez vite, dans les petites catégories, a décuplé ma motivation et je suis rapidement rentré dans le groupe de la Ligue, où je me suis fait des copains dans toute la région. C’était super de se retrouver le week-end et de faire des compétitions avec eux. En 2004, j’ai obtenu une première sélection internationale, une sorte de championnats d’Europe des jeunes en Autriche, j’avais 16 ans. Ça a été une révélation. Mettre le maillot de l’équipe de France, voir qu’il y avait aussi plein d’autres orienteurs à l’international m’a énormément motivé.
Après vos études à l’INSA, vous vous êtes exilé durant cinq ans en Scandinavie afin de progresser en course d’orientation. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
J’ai pu avoir un emploi à temps partiel très flexible que je n’aurais jamais trouvé en France en tant qu’ingénieur. La CO est aussi très développée là-bas. Le niveau est très dense sur chaque compétition et les terrains sont très exigeants avec 70% de forêt, des mouvements de terrain, des rochers. C’est un terrain de jeu très intéressant pour progresser et beaucoup de choses se passent en Scandinavie. Je devais progresser sur ces terrains de manière à m’améliorer aussi sur la scène internationale.
Quelles différences y-a-t-il entre les deux disciplines ?
En course d’orientation, les efforts sont assez courts et intenses. On court en tout terrain, c’est plus dur que de courir sur un sol propre. Par contre, on doit naviguer, lire la carte, il ne faut donc pas tout donner, sinon on n’est plus assez lucide pour s’orienter. En trail, il y a parfois de grandes montées et de grandes descentes que l’on n’aura pas en course d’orientation. Musculairement c’est très dur, et c’est aussi différent au niveau cardiaque : sur une longue montée il ne faut pas se mettre dans le rouge, par exemple. En CO, il existe plusieurs formats : le sprint qui dure 15 minutes environ, la moyenne distance entre 15 et 40 minutes, et la longue distance autour d’1h40 d’effort. Sur tous les formats, on est dans un effort intermittent avec des moments où on va courir à fond, d’autres où il faudra lever les jambes parce qu’il y a des branches au sol ou des marais, des descentes, tout en lisant la carte en même temps. Quand c’est plus technique, l’intensité physique est plus basse, puis ça remonte. Il peut y avoir des parties plus intenses mais plus courtes. Je pense donc que la CO m’a permis d’acquérir une certaine condition physique avec un haut volume d’entrainement pendant pas mal d’années. Le fait de courir sur des terrains qui changent beaucoup, à des rythmes différents, évite aussi les blessures d’usure que l’on peut retrouver sur la route ou dans le trail. Aux Açores, où j’ai bien réussi, il avait beaucoup plu, c’était particulièrement boueux, cela s’était bien prêté à mes qualités d’orienteur ? ça a été moins le cas aux Mondiaux en Autriche, où le terrain était moins technique.
À l’inverse, pensez-vous qu’un traileur peut performer en course d’orientation ?
Honnêtement, cela prendrait beaucoup plus de temps, car l’aspect technique est très important. Il faut savoir lire une carte, construire son propre itinéraire. Certains traileurs ont déjà essayé, mais c’est très frustrant au début, car ils doivent marcher ou aller très doucement pour apprendre à naviguer. Je ne connais personne qui a véritablement performé en commençant adulte, il faut commencer jeune pour acquérir toutes ces routines techniques. En CO, une partie de notre foncier c’est du trail. Dans ce sens-là, la marche à gravir est moins grande que pour des traileurs qui ne font jamais de course d’orientation.
L’hiver dernier, vous avez finalement annoncé vouloir vous consacrer uniquement au trail. Pourquoi ce choix ?
J’ai toujours aimé le trail et le cross. J’en avais fait quand j’étais jeune, mais j’étais alors vraiment concentré sur la course d’orientation, et comme j’avais davantage de lacunes techniques que physiques, mes coaches ont insisté pour que je fasse beaucoup plus d’entraînement technique et de stages avec l’équipe de France. Et avec le calendrier chargé, entre 2010 et 2020, il n’y avait pas la place pour pouvoir participer à ce genre de courses. En revanche, en 2020, j’ai assez vite compris que le trail allait m’ouvrir des portes, notamment en termes d’opportunités et de sponsors. Le fait que cela ait tout de suite bien fonctionné m’a motivé. D’autant plus que j’étais un peu sur la pente descendante en CO. J’avais déjà vécu pas mal de choses alors qu’en trail, tout était nouveau. Je sais qu’il y a encore moyen de progresser et d’optimiser mes performances. Je ne suis plus si jeune, donc si je veux tenter ma chance, c’est maintenant. Je n’aurai peut-être pas d’autres opportunités dans le futur.
A quoi ressemble votre quotidien aujourd’hui ?
Je vivote entre la Finlande et la France, les stages et les formations. Je suis assez nomade. J’ai arrêté mon travail en Finlande pour me consacrer davantage au trail. Mais comme je refuse de ne rien faire à côté, j’ai passé mon diplôme pour avoir ma carte professionnelle d’éducateur sportif en CO. Cela me permet d’encadrer quelques stages en parallèle de mes entraînements et de mes compétitions. Je suis aussi une formation d’accompagnateur en montagne pour plus tard. J’ai finalement peu de frais dans ma vie actuelle et je peux vivre du sport en ce moment.
Avez-vous quelqu’un qui vous conseille dans votre pratique ?
J’ai un entraineur : Adrien Séguret, le sélectionneur de l’équipe de France de trail. On a commencé en 2021, quand je me suis qualifié pour les championnats du monde. On était en contact et il avait proposé de m’entrainer pour le trail. Et on a continué. Avec la CO, je m’entrainais deux fois par jour avant et après le boulot, mais maintenant, je fais des sorties plus longues et je ne m’entraine plus qu’une fois par jour. Je pratique aussi le ski de fond l’hiver, quand je suis en Finlande, ou le vélo en France pour alterner. J’allège un peu plus ma charge à partir de mai pour les compétitions.
Quels sont vos objectifs aujourd’hui à court et long terme ?
Cette année, j’avais deux objectifs principaux : les Mondiaux de trail et la coupe du monde de sky-running, mais je n’ai pas d’objectifs à long terme. Je fonctionne une saison après l’autre. Pour le moment, j’ai juste envie de refaire des courses avec l’équipe de France. Je sais que les distances ultra sont les plus réputées, mais je ne sais pas si j’ai les capacités pour y performer. La Diagonale de Fous ou l’UTMB, ce sont des courses de référence dans le milieu, qui font rêver. Je pense que j’essaierai un jour, mais il faut que je m’y prépare un peu. Ce n’est pas pour tout de suite, c’est quand même un autre sport.
Propos recueillis pour J'aime courir par Véronique Bury
Crédit photos : Alanis Duc.