À 84 ans, Barbara Humbert se prépare à fouler les rues de la capitale en août 2024 avec un an de plus au compteur, dans le cadre du marathon pour tous des Jeux olympiques de Paris. Un nouvel exploit qui rejoint la longue liste de ceux déjà réalisés par la fondeuse du Saint-Brice Athlétisme. Doyenne parmi les arrivantes lors du dernier marathon de Paris et recordwoman du monde des 24 heures en master 9, Barbara a le cœur et la foulée en pleine forme. Chaque semaine, elle court entre 45 et 50 km, pour le plaisir de se sentir vivante.
En avril dernier, vous avez bouclé le marathon de Paris en 6h21’, à l’âge de 83 ans. C’était le 56e de votre carrière. Qu’est-ce qui vous motive encore à accrocher un dossard ?
C’est une question qu’on me pose souvent ! Je cours depuis 40 ans et j’éprouve toujours beaucoup de plaisir à disputer un marathon, surtout à Paris avec tous ces orchestres le long du parcours. C’est très festif et très agréable. Cette année, il a fait un peu froid et ça a été un peu plus pénible à la fin avec le vent. J’en avais les lèvres figées et je ne pouvais presque plus parler. Mais on court mieux en général quand il fait frais. C’est plus facile pour le souffle que lorsqu’il fait trop chaud.

Racontez-nous vos débuts de coureuse…
J’ai découvert la course à pied un peu par hasard, à 43 ans, grâce à ma fille aînée. À l’époque, je n’étais pas spécialement sportive. Je faisais juste un peu de gym tonique dans les villages autour de chez moi. Mais elle préparait une épreuve d’endurance pour le bac et je lui ai proposé de l’aider. On a commencé comme ça, à deux, à courir autour de notre village, à Bouffémont dans le Val d’Oise. Puis, peu à peu, on a allongé la distance et on a été de plus en plus loin, dans la forêt de Montmorency. Et je n’ai plus jamais arrêté.
Qu’est-ce qui vous a plu dans cette pratique ?
C’est très complexe. Je dirais que j’aime cette liberté de me retrouver seule. On se sent libre quand on court, on s’appartient complètement et on n’a pas besoin d’être accompagné. C’est cette liberté et ce sentiment de se sentir vivre, libre, sans stress, et dans la nature, qui m’a plu. Je cours d’ailleurs toujours sans musique. J’adore être au contact des éléments.
Comment vous est venue cette idée de participer à un marathon ?
Un jour, j’étais dans la salle d’attente d’un médecin et j’ai lu un article dans lequel un journaliste racontait sa préparation pour le marathon de New York. Je me suis dit : « pourquoi pas ? je vais faire ça ! » Et j’ai commencé à augmenter le kilométrage dans l’idée de m’aligner sur les 42,195 km. Je me suis inscrite à mon premier en 1984 à Paris. C’était un marathon 100 % féminin, qui était organisé par la société de cosmétique Avon afin d’inciter les femmes à courir. On était juste quelques centaines, pas plus.
Ça avait été un peu dur et surprenant. Mais, dans l’ensemble, je ne m’en étais pas trop mal sortie puisque j’avais fini 39e en 4h20’. Ça m’avait surtout donné envie de revenir pour disputer le véritable marathon de Paris, ce que j’ai fait un an plus tard.
Quel était votre quotidien à l’époque ? Comment vous entrainiez-vous ?
Je m’entrainais au feeling, en courant entre 40 et 60 km par semaine. C’était relativement facile à cet âge-là. J’avais même terminé en 3h48’ à Berlin en 1986, sans aucune difficulté. Mais le chrono, ce n’est pas ce qui me motivait. Mon plaisir, c’était juste d’aller courir seule en forêt. Comme je ne travaillais pas encore avec mon mari et que je m’occupais de mes enfants, j’étais assez libre pour aller m’entrainer quand j’en avais envie. En général, j’y allais 4 à 5 fois par semaine, les après-midis, et je courais environ deux heures. Ça n’a pas changé, je cours toujours entre 45 et 50 km par semaine.
Vous avez enchainé les marathons dans le monde entier…
Mon mari était cadre supérieur dans l’industrie pharmaceutique. Il se déplaçait beaucoup avec son travail. J’ai donc décidé de voyager moi aussi, grâce à la course à pied. Avec l’objectif de connaitre toutes les capitales dans lesquelles mon mari avait séjourné. J’ai commencé par courir un marathon par an, puis deux, voire trois. Je n’ai jamais arrêté sauf entre 1990 et 1994, ce que je regrette fortement.
Que s’est-il passé ?
J’avais un problème de tendinite au niveau de la hanche et on m’avait alors conseillé de stopper la course à pied. Sauf qu’avec l’expérience, je me suis aperçue que j’aurais pu le gérer autrement, en diminuant par exemple le kilométrage ou en faisant des étirements. J’ai énormément appris sur moi grâce à la course à pied. Encore aujourd’hui, elle m’apporte beaucoup de bien-être et un réel équilibre entre mon corps et mon esprit. Elle m’aide aussi à décharger le stress et à faire le vide dans ma tête. C’est une forme de méditation que j’apprécie particulièrement.
A plus de 80 ans, vous avez notamment participé aux 100 km de Millau et à une course de 24 heures. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans l’ultra à cet âge-là ?
Mon premier 100 km à Millau, c’était pour mes 70 ans. On m’en avait parlé et j’avais envie de voir si j’en étais capable. C’est toujours cette envie d’aller un peu plus loin et de me découvrir qui me motive. Et puis, quand on prend de l’âge, c’est bien aussi de se fixer un but pour aller de l’avant. C’est plus motivant. Le premier 100 km a été facile, c’est ce qui m’a incité à en refaire un pour mes 80 ans.
Et les 24 heures, à 82 ans ?
J’y ai participé pour aider à récolter des fonds pour une association qui encourage les femmes atteintes d’un cancer du sein à faire du sport. Ce n’est que lorsque j’ai su que j’avais une chance de battre le record du monde dans ma catégorie d’âge (F90) que j’ai décidé d’essayer d’aller au bout. C’était une très jolie petite boucle, pas ennuyeuse du tout, et je n’ai pas ressenti de fatigue, ni l’envie de dormir. Si je suis contente d’avoir réussi à aller jusqu’au bout, au final, je suis surtout fière de l’avoir fait pour mon club et pour l’association.

Comment réagit votre famille face à vos exploits sportifs ?
Mes petits-enfants sont très fiers et m’ont aidée à obtenir mon dossard pour le marathon pour tous des Jeux olympiques de Paris. Mes enfants, quant à eux, sont un peu en dehors de tout ça. Ils ont entre 50 et 60 ans et ça ne les intéresse pas vraiment. Mais ils m’ont toujours encouragée, soutenue et félicitée et ils me suivent parfois à distance pendant mes courses. Ils savent que ça fait longtemps que je m’impose une certaine hygiène de vie et un certain rythme, qui me permettent de faire du sport et de me sentir toujours très bien et très jeune à mon âge. Mon mari m’a accompagnée lors de deux marathons au début, quand il était plus jeune. Mais avec son travail, il était souvent fatigué le week-end et il n’a pas eu envie de continuer.
Et votre médecin, qu’en pense-t-il ?
Elle est toujours très étonnée quand je vais la voir, et elle me pose des tas de questions. On en discute et elle met en place les contrôles qui s’imposent, mais je crois qu’elle a compris, elle aussi, qu’elle ne pouvait pas faire autrement que de me laisser faire courir.
Mais en fait, quelle est votre formule magique ?
Je bois beaucoup d’eau - un litre et demi par jour - et j’ai toujours eu une alimentation très équilibrée, avec peu de matière grasse, pas de sucres rapides et beaucoup de crudités. Je dors aussi beaucoup, au minimum neuf heures par nuit, sans chauffage et la fenêtre ouverte, même en hiver. Je pense que ça m’aide à avoir une bonne résistance immunitaire.
Vous dites souvent que « pour réaliser ses rêves, il faut y aller sans trop se poser de questions ». Quel est votre rêve aujourd’hui ?
Participer au marathon pour tous des Jeux olympiques de Paris 2024. Et ce sera le cas, puisque j’ai été tirée au sort cet été. J’espère juste que mon mari pourra être à l’arrivée avec mes petits enfants, même ceux qui vivent en province, car la course aura lieu en plein été. Ça nous permettra de fêter ça au champagne. Mais j’ai des tas d’autres projets. J’aimerais, par exemple, participer à la Mascareignes à la Réunion et disputer un triathlon au format olympique. Et pourquoi pas devenir un jour la femme la plus âgée à disputer un marathon ? Mais ce n’est pas pour tout de suite, je crois que le record est de 93 ans…
Un conseil à donner pour atteindre votre longévité ?
Je voudrais dire aux femmes qui veulent courir et qui n’osent pas de ne pas hésiter à se lancer. Elles en sont capables. On peut toutes courir, quel que soit notre âge. Il suffit juste d’y aller doucement et à son rythme. Il ne faut surtout pas écouter les autres et encore moins ceux qui estiment que l’on est trop vieux pour courir. Car il n’y a pas d’âge pour rester jeune ! La course à pied, c’est un état d’esprit, une école de la vie. Et je me sens tellement vivante quand je cours.
Propos recueillis par Véronique Bury. Photos par Yonathan Kellerman