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Mehdi Frère : « Je fonctionne surtout à la sensation et au plaisir »

Adolescent, il rêvait de devenir footballeur professionnel, mais c’est en participant à des cross scolaires qu’il s’est découvert une passion pour la course à pied. Depuis, le sous-officier de la Garde républicaine de Dugny n’aspire qu’à une chose : repousser ses limites pour atteindre le top 10 mondial sur marathon. En décembre dernier, il est devenu le deuxième meilleur performeur français de l’histoire sur la distance en claquant un superbe 2h05’43’’ sur le marathon de Valence. À 20 secondes seulement du record de France.

Vous attendiez-vous à un tel chrono à Valence ?

Honnêtement, oui. Ça faisait trois ans que je me préparais sur ces allures, que je tentais de partir sur ces bases-là. Ça n’était pas encore passé, mais je me sentais mieux cette année que les saisons précédentes. Je n’ai donc pas été surpris. Après, c’est sûr qu’entre le rêver et le faire, il y a une grosse différence. C’est pour cette raison que ça a été une joie immense d’y parvenir enfin.

Qu’avez-vous changé dans votre préparation ?

J’ai arrêté de me disperser et j’ai concentré toute mon année sportive sur la préparation de ce marathon. Tout a été orienté pour y arriver en forme. J’ai également arrêté les bêtises, comme ce concours de kilométrage (il était monté à 300 km par semaine, NDLR) avec des amis l’an dernier, qui m’avait valu une tendinite du tendon d’Achille quelques semaines avant Valence. J’ai décidé d’être un peu plus sérieux. A part ça, je n’ai pas changé grand-chose à mon entraînement. Je suis resté sur les mêmes schémas, la même trame et les mêmes allures. J’ai juste été un peu plus appliqué et j’ai fait un peu plus attention à la récupération et au calendrier des compétitions. J’ai aussi gagné en expérience au fil des marathons. J’en suis à mon septième et je commence à m’habituer à cette distance. J’ai pris en maturité.

Revenons justement sur votre parcours. Adolescent, vous rêviez de devenir footballeur professionnel. Qu’est-ce qui vous a fait troquer le ballon pour la course à pied ?

Comme beaucoup d’athlètes, c’est le sport scolaire qui m’a fait bifurquer et plus particulièrement les cross UNSS. J’ai découvert cet univers au lycée. Je faisais alors partie des footballeurs qui couraient le plus et un coach du sport-étude m’a repéré. J’ai adoré l’ambiance et la discipline, cet aspect du dépassement de soi. J’y ai pris goût tout de suite et je suis passé du sport-étude foot à celui d’athlé l’année suivante, avant d’être repéré à nouveau, un an plus tard, par le pôle espoirs de Fontainebleau.

Le sport faisait-il partie de votre culture familiale ?

Mes parents n’étaient pas forcément sportifs, mais mon grand frère a fait pas mal de sports de combat. J’ai d’ailleurs commencé comme lui par le karaté, avant de choisir le foot à l’âge de 12 ans. C’est finalement une excellente base pour les athlètes en devenir, car le football permet de développer beaucoup de qualités indispensables à la course à pied, comme la VMA, tout en progressant sur le plan musculaire de manière ludique en courant sur une surface souple, la pelouse, ce qui évite les blessures. On s’entraine sans véritablement s’en rendre compte. C’est une forme de fractionné mais en s’amusant.

Vous avez rapidement intégré l’équipe de France en participant à la coupe du monde de course en montagne en cadets. L’endurance, c’était déjà un choix ?

À Font-Romeu, mon terrain de jeux favori, c’était la montagne. Donc quand j’ai vu qu’il y avait un championnat de France de la spécialité avec une sélection possible au bout, j’ai sauté sur l’occasion… et ça s’est super bien passé ! Après, on s’est effectivement très vite aperçu, avec mon coach, que mes qualités naturelles s’orientaient plus vers le fond que la vitesse. Il ne se passait en effet pas grand-chose quand j’essayais de sprinter, alors que j’étais déjà capable de courir longtemps à la même vitesse. Le choix a donc été assez vite fait.

En 2015, vous aviez terminé 9e du 5000 m lors des championnats d’Europe juniors. Pourtant vous ne vous êtes pas éternisé sur la piste. Pourquoi avez-vous décidé de passer sur route si jeune ?

Ça a été un choix de carrière assez vite réfléchi. A l’époque, avec Thierry Choffin, mon coach, on avait analysé le niveau du marathon en France et dans le monde, et on s’était interrogé sur ce que mes qualités pouvaient donner sur cette distance. Comme j’étais beaucoup plus à l’aise lors des séances de seuil et lors des entraînements avec beaucoup de kilométrage, on s’est dit qu’il ne fallait plus considérer le marathon comme une discipline de fin de carrière pour un pistard, mais comme une épreuve à part entière. Et pour l’apprivoiser au mieux, en étant le plus performant possible, l’idée était d’arriver vers mes 30 ans en ayant déjà plusieurs marathons à mon actif. Pour cela, il fallait donc que je commence assez jeune afin d’emmagasiner de l’expérience et des sélections pour jauger le niveau mondial et arriver à mon pic de performance à cet âge-là.  On est donc actuellement dans les bons temps de passage. Je suis à 2h05’ à 27 ans. Normalement, j’ai encore de la marge et le projet se dessine plutôt bien.

Thierry Choffin a été le premier à vous dire que vous deviendriez à terme le meilleur marathonien français. Quel rôle a-t-il joué dans votre carrière ?

Thierry, c’est une source d’inspiration en tant que coach. Quelqu’un qui a toujours vu juste, l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur entraineur en France, voire en Europe aussi. Ça a été mon mentor. Et c’est pour cette raison que je n’ai pas repris de coach quand j’ai quitté le groupe de Fontainebleau. Je n’avais pas envie d’avoir un autre entraîneur après lui. On est d’ailleurs toujours en contact et on a gardé de très bonnes relations. Je prends toujours beaucoup de plaisir à retourner au club de temps en temps ou à intégrer son groupe, quand on se croise en stage. Et je m’inspire beaucoup de tout ce que j’ai appris à ses côtés pour programmer mes entrainements. Sur certains secteurs, cela reste une référence.

On dit souvent que vous êtes un coureur qui fonctionne au feeling en avalant aussi beaucoup de kilomètres. À quoi ressemble votre quotidien aujourd’hui ?

Je m’entraine avec Faustin Guigon, un camarade de la Garde républicaine qui court en 1h03’ sur semi-marathon. C’est un ami et c’est un peu comme un coach pour moi, car il est présent lors de tous mes entrainements. Il me conseille parfois et tempère mes ardeurs quand je veux trop en faire. J’ai une approche de l’entrainement assez naturelle. Je ne suis pas gadget, je n’ai pas de cardio, je n’utilise pas trop les datas et je ne fais pas de prises de lactates. Je fonctionne surtout à la sensation et au plaisir. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller courir en extérieur, faire des kilomètres et prendre du plaisir. Après, j’ai quand même une préparation bien structurée afin d’être performant sur marathon, et je ne fais pas n’importe quoi. Mais je n’ai pas de plan fixe et je fonctionne à l’envie.

Comment fonctionnez-vous concrètement ?

Pour programmer mes entraînements, j’ai surtout des intentions. Je sais à peu près ce que je vais faire dans ma semaine, à quel moment je vais placer telle ou telle séance, mais je ne connais jamais le nombre de répétitions, ni l’allure exacte à laquelle je vais courir. Je le décide le jour de la séance, en fonction de ce que je ressens. Je vise d’ailleurs plus des zones de sensations que des chronos en particuliers. La plupart du temps, Faustin s’adapte à ce que je fais. Comme j’ai des références chronométriques un peu plus élevées que les siennes, on commence ensemble la séance et, à la fin, soit il raccourcit les distances pour m’emmener, soit il prend le vélo. On essaie de s’adapter l’un à l’autre. Son coach est aussi un de mes amis et ça fonctionne bien, car on a un peu la même philosophie de l’entraînement. En prépa marathon, mon volume tourne en moyenne à un peu plus de 200 km par semaine pour environ 15 heures de course à pied, deux fois par jour. Le choix des jours de repos, c’est aussi au feeling. Je n’ai pas forcément besoin d’en prendre régulièrement.

Vous êtes connu pour être un « dur au mal ». Qu’est-ce qui vous plait tant dans la course à pied ? L’effort, le fait de se faire mal ou la compétition ?

C’est un peu un mixte de tout ça, le fait de se découvrir soi-même surtout à travers la course à pied et la compétition. Je pense en effet que l’on apprend à se connaitre dans l’effort et la douleur. Cela nous dit beaucoup de chose sur nous-mêmes. Pour autant, je ne pense pas être un énorme compétiteur. Battre absolument les autres ne m’intéresse que rarement. Ce qui me motive, c’est plutôt d’améliorer mes chronos , me battre contre moi-même, aller chercher mes propres limites.

Thierry Choffin a souvent dû freiner vos ardeurs de jeunesse, notamment quand vous vouliez partir avec le groupe de tête sur votre premier marathon en 2019. Pensez-vous être un peu plus sage aujourd’hui ?

Je ne pense pas. Je suis resté le même. J’ai toujours des objectifs élevés et je pense que je ne choisis pas toujours les stratégies de course les plus judicieuses. Mais je crois qu’il faut essayer de progresser en restant soi-même. Il ne faut pas tenter de changer sa nature. Ma philosophie n’est pas d’être le coureur le plus intelligent mais d’y aller comme j’en ai envie, comme je le sens. Thierry a raison, il faut certainement tempérer mes ardeurs, parce que j’ai tendance à vouloir partir vite, mais à partir du moment où j’y trouve du plaisir et que je le vis pleinement, je ne veux pas me limiter.

En dehors de la course à pied, vous êtes aussi sous-officier de la Garde républicaine. Qu’est-ce que cela vous apporte dans votre vie d’athlète de haut niveau ?

Je suis sous-officier d’active depuis 2018, mais je n’ai pas un contrat de sportif de haut niveau et je ne suis pas détaché à 100 %. Je suis entré par la voie classique, en passant les concours comme une personne civile. J’ai fait mon école et mes classes en gendarmerie comme tout le monde, et j’ai décroché un poste qui n’est pas réservé aux sportifs de haut niveau. J’occupe donc logiquement un emploi à temps plein, sauf que depuis cette année, en vue de Paris 2024, ma hiérarchie a trouvé la solution pour me faire basculer sur un poste un peu plus adapté, dans une unité qui a la possibilité de me libérer du temps pour m’entrainer et partir en compétition. Je travaille donc toujours, mais entre 10 et 30 heures par semaine, et je bénéficie d’aménagements qui me permettent de m’entrainer deux fois par jour, sauf quand je monte des gardes de 24 heures. Ça m’apporte une certaine sérénité. J’ai un emploi, ma reconversion est assurée et je n’ai donc pas le stress et la pression absolue de la course à pied. En plus, ma hiérarchie me soutient. Ils sont derrière moi et font en sorte que je sois dans les meilleures conditions possible.

Il y a aujourd’hui une énorme densité sur le marathon en France. En quoi est-ce un avantage ?

Ça tire tout le monde vers le haut. Nos performances actuelles sont le résultat de cette densité extrêmement forte. On se tire la bourre, on se regarde, on s’inspire les uns les autres. Quand je vois Morhad Amdouni battre le record de France, ça me donne envie de m’en rapprocher aussi. Quand j’observe Nicolas Navarro terminer 12e aux Jeux, je me dis que je suis capable d’en faire autant. Quand je m’entraine avec Hassan Chahdi en stage pour préparer les championnats du monde, je m’inspire de son sérieux et de son professionnalisme. Cette densité, c’est une époque bénie pour le marathon français. On est une exception européenne. Et on n’est pas loin d’être l’une des meilleures nations mondiales derrière les gros pays africains. Il faut en profiter et voir jusqu’où ça peut nous emmener. Le record de France devrait tomber encore prochainement, je ne sais pas qui le battra, mais c’est une des époques les plus excitantes pour la course à pied en France.

Vingt-sept ans, c’est jeune pour un marathonien. Comment vous voyez-vous évoluer à moyen et plus long terme ?

Je suis programmé pour tenir encore au moins une olympiade et aller jusqu’aux Jeux de Los Angeles en 2028. C’est mon gros objectif à long terme. À moyen terme, j’espère devenir l’un des meilleurs Européens pour pouvoir viser des médailles internationales. Pour ça, il faut se rapprocher des coureurs qui sont en 2h03’, 2h04’. C’est une barrière qui n’est plus tout à fait inatteignable.

Rédaction J'aime Courir, le 24/01/2024 17:12:00
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