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Mathieu Blanchard : « L’ultra-trail est une aventure »

Petit, Mathieu Blanchard se rêvait en Robinson Crusoé sur son île déserte. Plus grand, il est devenu ultra-traileur et jongle désormais entre les podiums - il a fini deuxième d’un UTMB titanesque en 2022, derrière Kilian Jornet - et ses aventures aux quatre coins du globe. Rencontre avec un coureur atypique qui carbure aux émotions.

Dans votre ouvrage Vivre d’aventures, sorti l’été dernier, vous vous présentez comme un ultra-traileur aventurier. Quelle est justement votre définition de l’aventure ?

Quand on parle d’aventure, on pense souvent aux grands aventuriers que sont Jean-Louis Etienne ou encore Mike Horn. Mais pour moi, l’aventure c’est surtout un état d’esprit, un besoin de sortir de son quotidien et de sa zone de confort, et de perdre le contrôle. C’est en tout cas ce qui m’anime, et ce que je recherche depuis quelques années. J’ai découvert que cet état d’esprit permettait de grandir, de découvrir de nouvelles choses, d’évoluer et de progresser. On apprend à s’adapter à notre environnement et on devient plus fort. Cela m’épanouit et intensifie mon existence.

Considérez-vous aussi la course à pied, et plus particulièrement l’ultra-trail que vous pratiquez, comme une aventure ?

Il y a un aspect aventure très puissant dans l’ultra-trail. Et c’est l’une des raisons pour laquelle j’adore cette activité. J’estime que c’est de l’aventure dans le sens où l’on sort de sa zone de confort et que l’on perd le contrôle. On se retrouve souvent à courir de nuit dehors, ce qui n’est pas très habituel, même si on peut s’entrainer pour ça. On est aussi clairement dans des zones très inconfortables et on doit s’adapter constamment car on évolue dans un milieu naturel où l’on ne peut pas contrôler tous les paramètres, que ce soit la météo, les particularités du terrain, les pierres, la boue. Notre courbe énergétique varie également beaucoup tout au long d’un ultra. On peut avoir de mauvaises sensations sur les deux premières heures de course, puis en avoir de très bonnes sur les deux dernières. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la courbe énergétique n’est pas uniformément descendante du départ à l’arrivée. Elle est plutôt sinusoïdale. On ne peut rien prévoir.

Était-ce déjà cette envie qui vous a incité à chausser les baskets en 2014, à l’âge de 26 ans ?

Pas vraiment. J’ai découvert cette passion pour l’aventure sur le tard, quelques années après avoir découvert la course à pied. Quand j’ai commencé à courir, au départ, c’était plus pour faire de la course sur route. J’ai immédiatement adoré ça, le fait de se mouvoir, tout simplement, de courir. Et, quand j’ai découvert le trail quatre ans plus tard, ça a été un deuxième coup de foudre, encore plus puissant, car j’y ai ajouté une couche d’aventure avec le fait de courir en pleine nature, de devoir gérer son ravitaillement. C’était le cocktail parfait. Et c’est à ce moment-là, seulement, que j’ai réalisé que j’avais cette envie d’aventure qui sommeillait au fond de moi.

Selon vous, nait-on aventurier ou le devient-on ?

Je ne saurais pas répondre. Plus jeune, je me rêvais en Robinson Crusoé, mais je ne savais pas ce que c’était que l’esprit d’aventure. Et je ne sais pas non plus si cela peut expliquer que j’avais déjà cette envie au fond de moi. En revanche, j’ai eu la chance de grandir avec des parents très voyageurs, à une époque où on voyageait beaucoup moins qu’aujourd’hui. J’ai séjourné à Singapour, dans les Antilles, en Guyane, en Inde… Cela m’a fait quitter ma maison en Provence, m’a ouvert à d’autres choses et peut-être que cela a commencé à faire naître ce goût pour l’aventure en moi ? Après, quand, je restais chez mes grands-parents, à la campagne, j’adorais aussi passer du temps dehors à construire des cabanes dans les arbres. Cela a pu aussi avoir un impact sur ma personnalité.

Vous avez pourtant suivi un parcours assez classique avec des études d’ingénieur…

J’ai grandi dans un cadre de vie très conventionnel, avec l’objectif de bien gagner sa vie pour s’acheter une belle maison, une voiture... Et puis quand j’ai commencé à travailler au Canada, je me suis rendu compte que cela ne m’épanouissait pas de mettre de l’argent sur des plans d’épargnes pour le futur. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la course à pied et que j’ai commencé à me plonger dans la lecture de récits de grands aventuriers. En lisant Mike Horn, je me faisais souvent la réflexion que cela ne me ferait pas peur d’être confronté à certaines situations extrêmes, comme le grand froid ou les attaques de serpent. Cela résonnait même plutôt comme une envie de le vivre aussi, au fond de moi. Quand j’ai commencé à faire de l’ultra-trail et à monter mes premières aventures, j’ai réalisé que je pouvais créer une sorte de business model pour en vivre et j’ai donc décidé de mettre plus d’énergie là-dedans au dépend de ma carrière d’ingénieur. Aujourd’hui, je consacre 50% de mon énergie à l’aventure et 50% au trail.

En plus d’avoir participé à l’émission Koh Lanta en 2019, vous vous êtes lancé dans d’autres défis, sur le sentier des Appalaches en Gaspésie, au Kilimandjaro, ou encore autour de l’œil du Québec où vous avez parcouru 250 km en ski de fond par -50° C. Que recherchez-vous dans ce genre de challenges ?

À sortir de ma petite « serre » du quotidien ! Il n’y a qu’avec ces aventures que j’ai le sentiment de grandir, d’apprendre des choses et de ressentir mon corps. Cela peut paraitre fou, mais je suis sans émotion dans mon quotidien, je ne verse jamais la moindre larme. Ce n’est pas très rigolo. Il me faut ces défis pour en arriver à pleurer ou rire à m’en tordre les abdos. Cela me fait vibrer et c’est là que je me sens le plus heureux. Vivant. Même les sensations de douleurs, liées à la fatigue ou au froid, me font du bien.

En quoi ces aventures sont-elles différentes de ce que vous pouvez vivre sur un ultra-trail ?

La différence, c’est le cadre. L’ultra-trail est une discipline cadrée et sécurisée. Il y a une ligne de départ, une ligne d’arrivée, des ravitaillements, des professionnels de santé tout au long du parcours, des balisages. L’aventure est hors cadre. C’est nous qui en dessinons le cadre. Il y a une couche d’entreprenariat supplémentaire car il faut la concevoir, se projeter, cartographier, trouver les financements, imaginer le terrain et se préparer à beaucoup plus d’éventualités. Au niveau santé, par exemple, il faut anticiper la blessure et être capable de se recoudre la peau si besoin. C’est la grosse différence. Les émotions, en revanche, peuvent être tout aussi fortes. J’ai énormément de souvenirs de larmes de bonheur ou de douleur, de sensations de plénitude profondes en ultra-trail.

Ce sont ces émotions que vous avez voulu offrir à votre petit frère, Luca, en l’embarquant sur un Half marathon des sables malgré son handicap (il est amputé de la jambe gauche suite à un accident de la route) ?

Mon petit frère était déjà un peu introverti de nature, mais il s’est renfermé encore plus sur lui-même après son accident. Comme j’avais remarqué que mes aventures m’avaient permis de briser ma carapace en me rendant plus humain, plus authentique, plus spontané, j’ai eu envie de lui offrir cette opportunité à un moment où il était en train d’entrer dans sa vie d’adulte. Pour moi, c’était un moyen de le secouer un peu et de le mettre dans les bons rails pour sa vie future. Je ne voulais pas qu’il soit le vilain petit canard handicapé dont tout le monde se moque mais plutôt le gars qui peut inspirer d’autres personnes malgré sa condition physique.

Vous évoquez souvent l’importance du partage et de l’entourage dans vos aventures. En quoi est-ce si important ?

De l’extérieur on pourrait penser que l’activité de coureur ou d’aventurier est très individuelle. Mais ce n’est pas le cas. Ce sont même des activités très sociables. Si nos proches ne nous soutiennent pas dans nos projets, il est quasi impossible de les réaliser. Sans eux, on ne peut pas s’entrainer et se préparer à la hauteur de l’ambition de nos objectifs. De plus, sans un bon équilibre mental, on risque d’abandonner encore plus vite face à la difficulté. Cette notion de partage est donc très importante. Mais c’est aussi vrai pour le partage que je peux avoir avec ma communauté sur les réseaux sociaux. Il est tout aussi important pour moi aujourd’hui car j’ai la sensation que cela donne un sens à ma vie. Et c’est beaucoup plus épanouissant que lorsque j’étais ingénieur dans un bureau. Parce ce que j’ai des retours très explicites, des gens qui me disent que ce que je partage leur donne envie de se lancer aussi. C’est hyper puissant pour moi. Je me sens utile et je m’en nourris. Je ne m’en cache pas, car cela me donne énormément d’énergie.

À quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?

Je suis un athlète avant tout. Je passe donc beaucoup de temps à mouvoir mon corps, entre 2 à 6 heures par jour. J’ai un programme d’entraînement à suivre qui me donne une feuille de route, mais je laisse beaucoup de place aux sensations et à l’instinct. Quand j’ai plus d’énergie le matin, je peux revoir mon programme du jour à la hausse et à l’inverse le diminuer, voire ne pas m’entraîner du tout, si je ne me sens pas en forme. J’ai aussi une philosophie de l’entraînement très multi sports car j’estime que l’ultra-spécialisation peut blesser et créer de l’ennui. C’est pour cette raison que je diversifie énormément ma pratique tout au long de l’année. Je fais du vélo, du renforcement musculaire, je nage parfois dans les lacs ou rivières et là, en ce moment, je fais du ski quasi tous les jours (il s’est installé cette année dans les Alpes françaises). D’un point de vue kilométrique, cela dépend aussi des périodes. Je peux passer de 50 km par semaine à 300 km en préparation d’un gros ultra-trail. C’est très variable. J’aime bien aussi me créer un manque en me retenant d’aller courir pour augmenter ma motivation à l’approche de l’été. Toute cette préparation me sert ensuite naturellement pour mes aventures auxquelles je réfléchis entre deux gros entraînements. J’occupe alors mon esprit avec le coté aventure. J’analyse le matériel, je lis des récits, je me forme et je rencontre des experts. Je peux aussi faire des entraînements plus spécifiques pour m’adapter à un milieu particulier. Dans tous les cas, le temps que je passe dans l’un me sert dans l’autre. Comme des vases communiquant.

Vous revenez d’un stage de survie en montagne. Est-ce une nouvelle expérience ou une préparation en vue d’un prochain défi ?

Le milieu polaire est le milieu qui m’intrigue et me fascine le plus. J’ai des projets de grande envergure mais je prends mon temps parce que c’est un milieu extrêmement dangereux, où on peut y laisser sa peau. J’avais fait de nombreux entraînements au Québec et je suis content de découvrir que l’on peut aussi faire de belles aventures polaires en France, notamment sur le plateau du Vercors. On peut y tirer une pulka et faire du bivouac hivernal assez facilement. C’est génial. J’y suis allé aussi parce que je prépare actuellement la patrouille des glaciers, une course de ski alpinisme et que j’ai eu la chance de pouvoir accompagner des militaires du 93e régiment d’artillerie de montagne. On a dormi dehors, en tente, par -10°C, j’ai également découvert leur système de cartographie sans réseau ni téléphone et leurs techniques de survie. Ça a été hyper intéressant.

Qu’est-ce qui vous anime et vous fait vibrer dans la course à pied aujourd’hui ?

J’ai découvert le sport de haut niveau il n’y a pas si longtemps et j’ai encore beaucoup de choses à découvrir et à apprendre. Beaucoup de courses à courir aussi. Je sens que je suis sur une courbe ascendante et que je progresse encore. Je n’ai pas atteint mon plafond. Mes chronos évoluent, mon corps et mes sensations aussi. Je reste donc dans cette quête de voir quelles sont mes limites et jusqu’où je peux aller. Il y a de grandes courses auxquelles j’aimerais participer, comme la Diagonale des fous, la Hardrock, les Templiers… et cela devrait me nourrir au moins encore pour les cinq prochaines années. Après, j’ai conscience que je ne pourrai pas continuer à courir aussi vite, passé un certain âge. Je réduirai alors la compétition pour faire davantage d’aventures. Mais une chose est sûre : je ne remettrai plus jamais les pieds dans un bureau, enfermé entre quatre murs. C’est quelque chose que je n’ai pas aimé et qui ne me correspond pas. Je deviendrai donc un aventurier, tout simplement. Je trouverai des défis qui ont du sens et qui me permettront de raconter de belles histoires pour inspirer le monde à être moins sédentaire et à se reconnecter à une forme d’essentialité.

Propos recueillis par Véronique Bury

Rédaction J'aime Courir, le 28/03/2024 22:33:00
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