J’aime Courir consacre une série d’articles à des séances d’entraînement clés, racontées par leurs acteurs principaux. Aujourd’hui, Blandine L’Hirondel, 33 ans, nous décrit une séance effectuée deux semaines avant son titre de championne de France de trail long, glané le 7 avril à Buis-les-Baronnies.
LE PROGRAMME
Après 4 kilomètres d’échauffement en endurance fondamentale (à moins de 130 battements par minutes), le gros de la séance consiste à enchainer 4 tronçons de 7 km à allure tempo (c’est-à-dire à environ 6 en ressenti RPE sur une échelle de 1 à 10 ou à environ 90% de fréquence cardiaque maximum), entrecoupés par 700 m de récupération active en trottinant ou en marchant, en fonction de la technicité du parcours à ce moment-là. La sortie s’achève par deux kilomètres de footing paisible pour rentrer. Soit un total de 36 km pour 1500 m de dénivelé en 2h45’ environ. À noter que le parcours avait été étudié pour se rapprocher au maximum de celui que Blandine retrouverait sur les championnats de France.
OÙ ET QUAND
Le dimanche 24 mars à 10h du matin, dans les gorges du Tarn, en Lozère, sur des sentiers de randonnée cheminant entre Sainte Enimie, les Causses et Saint-Chély-du-Tarn. Le temps était maussade avec beaucoup de vent, la température d’environ 10 à 12°C.
LE CONTEXTE
Blandine L’Hirondel avait repris l’entraînement fin janvier après un arrêt de dix semaines pour soigner une fracture de fatigue du calcanéum. Elle achevait ce jour-là un premier bloc de préparation de dix semaines par sa dernière grosse séance d’entraînement avant le premier objectif de la saison, programmé quinze jours plus tard. Une semaine auparavant elle avait cumulé 150 km pour 7000 m de dénivelé lors d’un stage avec la team Kiprun, où elle était partie reconnaitre le parcours des championnats de France à venir. Cette fois-ci, étant d’astreinte à l’hôpital en début de semaine, elle avait allégé son programme avant d’enchainer sur du vélo et de la musculation mercredi, une séance de seuil en montée jeudi, et deux sorties longues de deux heures en vélo vendredi et en trail samedi. Dimanche, au petit matin, elle était partie seule sur les sentiers des gorges du Tarn, mais avec une série de podcasts dans les oreilles, dont celui de Tempo Run Club avec Méline Rollin. « J’aime bien écouter des podcasts sur les athlètes, je trouve cela inspirant. J’écoute aussi de la préparation mentale ou du développement personnel. Cela me permet de penser à autre chose sur de longues séances comme celle-là. » Après cette sortie, la double championne du monde a enchainé avec deux semaines d’affûtage allégées.
LES SENSATIONS DE BLANDINE L'HIRONDEL
« Pour être honnête, je sentais qu’on touchait à la fin. C’était la derrière séance d’une bonne préparation de deux mois et il me tardait d’en finir pour commencer un peu à relâcher. Je pense que j’avais besoin de me recharger mentalement et j’appréhendais un peu cette sortie. En même temps, je savais aussi pour l’avoir déjà réalisé que c’était une séance intéressante. Elle passe d’ailleurs plutôt bien en général car on n’est pas sur des intensités trop élevées. Elle permet aussi de se rassurer et de se projeter sur l’objectif compétitif car elle offre une meilleure appréhension des allures et des ressentis que l’on retrouvera le jour de la course.
Au début, ça a été un peu dur quand même. Je suis parti un cran au-dessus, presque au seuil, et je trouvais ça long, ces 7 km ! Mais j’ai bien géré ensuite, notamment en montée. En revanche, sur le plat à la fin, j’ai à nouveau éprouvé quelques difficultés. J’étais fatiguée et j’avais du mal à tenir les fréquences cardiaques (FC) cibles. Le cardio n’augmentait plus aussi bien et ma montre n’arrêtait pas de biper pour me le signaler. C’était dur mentalement car j’aime bien respecter les consignes jusqu’au bout. Mais là, j’avais juste envie de l’éteindre. En même temps, en trail c’est toujours compliqué, on ne peut pas toujours se fier à la FC. Sur ce dernier bloc, je n’arrivais plus à monter à plus de 150 quand je me retrouvais sur du plat, alors qu’en perception d’effort j’étais à plus de 7 sur 10. Je courais donc un peu plus vite que mon tempo de course, mais ce n’était pas corrélé avec ma fréquence cardiaque. Au final, même si j’étais contente d’en finir, je l’ai plutôt bien vécu. C’était ma plus longue sortie depuis ma reprise et c’était intéressant de voir où j’en étais. Avant une grosse course, on se demande toujours si on a assez de kilomètres dans les jambes. Cette séance de quasi 40 km à allure spécifique m’a rassuré par rapport à ma blessure et cela m’a permis d’aborder les France avec sérénité et confiance. »
À VOUS DE JOUER
Lilian Gugliero, entraîneur de Blandine L’Hirondel, décrypte la séance de son élève et donne les clés à ceux qui souhaitent s’en inspirer.
« L’objectif de ce type de séance, que je conseille plutôt pour préparer des trails de 4 à 6 heures d’effort, est de chercher à ressentir ce que l’on va vivre en compétition, en reproduisant les mêmes contraintes au niveau du terrain, de la physiologie, que ce soit d’un point de vue musculaire comme métabolique, et du matériel. J’avais par exemple demandé à Blandine d’embarquer et de tester l’alimentation qu’elle utiliserait sur les championnats de France, afin de voir si tout fonctionne bien. L’idée ensuite est de travailler sur des sections de course que l’on va couper en plusieurs parties (ici 4 x 7km) afin de limiter le stress sur le corps tout en vivant quand même cette intensité spécifique de la compétition. Pour cela, il faut chercher un chemin qui va permettre de reproduire le même ratio dénivelé/kilomètres que celui de la course visée, ainsi que la même technicité que celle que l’on aura en course. Pour calibrer l’intensité de course, on peut ensuite fonctionner à 100% en ressenti d’effort. En visant la zone 3. Dans le cas de Blandine, on avait associé plusieurs données : le ressenti d’effort, la vitesse de course et la fréquence cardiaque, grâce notamment à des zones que l’on avait calculées avec des tests de lactates en amont. Pour Blandine, la consigne était de rester dans une certaine zone de fréquence cardiaque entre le seuil 1 et le seuil 2, ou en zone 3 sur un modèle à 5 zones. C’est ce que j’appelle le mode tempo, ce moment où il n’y a pas d’accumulation de lactates et où l’on peut tenir cette intensité entre 2 et 6 heures. En zone 3, généralement on est sur des ressentis d’effort situés entre 4 à 5 sur 10 sur l’échelle RPE. Enfin, pour définir la distance totale à parcourir, je conseille de se baser sur les séances effectuées avant dans la préparation afin de respecter une certaine progressivité plutôt que sur l’objectif compétitif. L’idée étant en effet de ne pas augmenter de plus de 20 à 30% du volume kilométrique total de la précédente séance à allure course afin de ne pas prendre le risque de se blesser. Un athlète blessé ne finira pas sa course alors qu’un athlète sous-entrainé pourra potentiellement terminer quand même. De même je conseille aussi de ne pas dépasser les 50 % du volume de la course visée et de placer cette séance au plus tard 15 jours avant la compétition. On peut également prévoir plusieurs séances de ce type sur les six semaines précédant la période d’affutage en commençant avec un faible volume, avant d’augmenter progressivement la charge. Cela permet au corps de s’habituer peu à peu à l’effort de la compétition tout en encaissant à chaque fois un peu plus de kilomètres. »
Véronique Bury pour J'aime courir