Stéphane Ricard aurait pu finir footballeur professionnel ou coach de tennis. Mais c’est finalement sur les sentiers de montagne que ce professeur des écoles a trouvé sa destinée sportive. Excellent trailer, il brille aussi bien sur les sentiers de la 6000 D à La Plagne, qu’il a remportée à deux reprises, que sur la neige, raquettes aux pieds. Une discipline peu commune, mais dans laquelle il a déjà glané trois titres mondiaux. Il nous raconte.
Vous êtes monté en début d’année pour la septième fois sur le podium des championnats du monde de raquettes à neige, en décrochant l’argent. Comment devient-on spécialiste de cette discipline ?
(Il sourit…) En fait, je cherchais une discipline sportive me permettant de courir l’hiver sans risquer de me blesser. Je vis dans les Hautes-Alpes et, à l’époque, il y avait pas mal de neige et de verglas lorsque je sortais courir le soir après l’école. C’était assez dangereux. Comme je connaissais une personne qui faisait de la course en raquettes régulièrement au sein de la fédération française de la montagne et de l’escalade, ça m’a donné envie d’essayer. Et j’ai immédiatement accroché. J’ai disputé une première course en Italie, en 2007, à laquelle ont participé plus de 5000 personnes. Puis une deuxième, une troisième. J’ai vu qu’il y avait des championnats du monde aussi, et je suis finalement entré comme ça, de fil en aiguille, dans cette grande famille des raquettes.
Qu’est-ce qui vous a plu dans cette pratique ?
Le fait de pouvoir aller partout, que ce soit en moyenne ou en haute montagne. Même en ville, quand il neige, on peut courir en raquettes. Ça modifie un peu la foulée car il faut courir les pieds légèrement écartés pour ne pas taper la malléole, mais comme j’ai la particularité de courir avec un pied droit légèrement ouvert, ça m’a avantagé et ma foulée s’est adaptée assez naturellement. On a aussi un poids aux pieds et on est sur un terrain instable. Il faut donc parvenir à trouver une certaine stabilité dans l’instabilité. Ça exige d’être hyper puissant au niveau des jambes pour maitriser le sol et l’environnement. Mais comme je viens du foot, j’ai de grosses cuisses et ça ne me pose pas de problèmes. Et puis j’aime bien être en déséquilibre, il y a un côté assez ludique, notamment dans les descentes. On peut aussi faire de beaux sommets en raquettes, en allant plus vite en montée qu’en ski de randonnée, et se régaler ensuite dans la poudreuse en descente. Pour quelqu’un qui aime le trail et la montagne, ça me permet de rester dans mon élément, au cœur de la nature, et c’est aussi ce qui m’a plu.
Pourtant plus jeune, vous couriez davantage après un ballon de foot ou une balle de tennis, vous avez même été repéré à 13 ans pour intégrer le centre de formation de l’Olympique de Marseille. Qu’est-ce qui vous a fait bifurquer ?
Je n’ai pas trop aimé l’ambiance dans le foot au moment de l’adolescence. Ce n’était plus du foot, mais des bagarres, des insultes. Ça me faisait faire aussi pas mal de déplacements. J’ai donc choisi le tennis à ce moment-là. J’adore les sports de raquette. J’en ai fait 4, 5 ans et j’ai passé mes diplômes pour être prof de tennis, mais j’ai aussi toujours couru à côté. Petit je m’amusais à faire le tour du pâté de maison le plus rapidement possible. Avec le foot, j’avais une bonne caisse et j’ai aussi participé à plusieurs championnats de France UNSS avec l’école. En 2005, plusieurs copains ont participé au triathlon d’Embrun. Ça a piqué ma curiosité et je me suis inscrit l’année suivante. J’ai commencé à m’entraîner en autodidacte, à m’intéresser au fonctionnement des sports d’endurance. Je n’étais pas encore un coureur, mais je sentais que j’avais des capacités. Et puis comme le triathlon me prenait beaucoup trop de temps, je me suis recentré uniquement sur la course à pied. C’est un peu comme ça que tout a commencé. J’ai fait un 10 km en 2007, en 31’, on m’a dit que c’était très bien et j’ai continué.
Depuis, vous vous êtes construit un joli palmarès en trail, avec notamment deux victoires lors de la 6000 D. En quoi est-ce un avantage de pratiquer le trail pour la course en raquette et vice-versa ?
Faire de la raquette l’hiver permet de courir dehors et de travailler sa puissance musculaire avec un poids aux pieds sur un sol instable. Quand on le transfère ensuite au trail, on retrouve des similitudes. Certes, on n’a plus le poids aux pieds, mais dans le sac. On n’est plus sur un sol aussi instable, mais le terrain reste technique et non linéaire. On est aussi en montagne et en altitude. Après, les efforts sont quand même plus courts en course en raquettes, entre 8 et 12 km pour 500 m de dénivelés max, mais il y a quand même un lien. Et ça permet, mine de rien, de préserver les articulations en hiver, car on est plus stable sur la neige que lors d’un trail blanc. Enfin, ça permet aussi de casser la routine de la course à pied.
Au printemps dernier, vous avez participé à votre premier Marathon des sables (14e au scratch et 3e Français). Quels souvenirs en gardez-vous ?
C’est encore autre chose, plus un raid qu’une course. Une épreuve difficile où l’on est en déséquilibre permanent, en manque de sommeil et de bouffe, de tout. Il faut apprendre à accepter l’état dans lequel on est, ne pas être constamment en bataille avec son égo, mais juste dans l’instant présent. Dormir dans des tentes à huit, manger du lyophilisé et crever un peu la dalle, je n’ai pas trop apprécié. Cette zone d’inconfort a été assez difficile à vivre mais, en même temps, ça m’a quand même apporté une certaine forme de bonheur. Je suis en effet quelqu’un qui aime bien tout maitriser, et cette expérience m’a forcé à prendre du recul pour réussir à apprécier le moment présent. J’ai beaucoup appris sur moi en cherchant des parades pour rendre cette épreuve moins inconfortable. L’ambiance est aussi très particulière dans ce désert. Il s’y passe quelque chose de spirituel avec ces grandes lignes droites, sous ce cagnard à 40 degrés, au milieu de nulle part, à chercher en soi le pourquoi on fait ça. C’est difficile à expliquer tant qu’on ne l’a pas vécu.
Passer de la poudreuse au sable du désert, c’est assez extrême. En quoi votre expérience dans la neige a-t-elle pu vous servir ?
Ça m’a permis de mieux appréhender l’instabilité, même si ça n’est pas tout à fait pareil. Il faut en effet être puissant au niveau des jambes dans le sable, car c’est très dur d’avancer. En raquettes, j’aime bien les passages un peu ‘’trappeurs’’, où il faut appuyer sur les jambes pour réussir à se sortir de la poudreuse. Les sensations sont donc un peu similaires, mais on a quand même beaucoup plus de points d’appuis avec les raquettes dans la neige qu’avec des baskets dans le sable. Dans les dunes, tu n’accroches pas quand tu montes, tu es obligé de marcher. Mais ça aide, c’est sûr. Je pense que c’est surtout le mélange d’expériences vécues ces dernières années qui m’a aidé lors du Marathon des sables. J’avais déjà couru dans des conditions très difficiles, notamment par moins 30 degrés au Québec.
Que ressentez-vous finalement grâce à ces expériences de courses ?
Je me sens en vie ! Quand on bouge, on existe. Je pense que j’en ai besoin. À chaque fois, il y a comme une adrénaline à voir comment le corps va réagir dans la nouveauté. On se prend aussi au jeu de découvrir jusqu’où on peut repousser ses propres limites grâce aux autres. Tout seul, je ne le ferais peut-être pas. Il y a une sorte de force du collectif en course, une émulation. Et puis, j’ai aussi quand même cette passion de la nature et de la montagne.
Y a-t-il une course qui vous fait rêver aujourd’hui ?
J’aimerais bien participer à la Diagonale des fous un jour et de nouveau prendre part à l’UTMB. Je suis passé sur le long, même si je pense que je suis bien meilleur sur le court. Ça fait d’ailleurs 17 ans que je réalise le même temps sur 10 km. Quelles que soient les chaussures, la prépa, j’ai toujours couru entre 31 et 32 minutes. C’est une bonne base pour vivre plein d’expériences diverses à côté.
Vous êtes professeur des écoles au quotidien. Comment jonglez-vous avec vos entraînements et compétitions ?
Je ne m’entraine pas beaucoup, 8, 10, 12h par semaine. Parfois 15h, quand je suis en vacances. Mais je n’ai pas besoin de m’entraîner beaucoup. J’aime bien aussi faire d’autres choses à côté : jouer aux échecs, aller au cinéma, voir des amis, faire la fête... J’ai besoin de varier les activités. Je cours généralement le soir, mais j’ai la chance, en étant professeur des écoles, d’associer ma passion à mon enseignement. Ça m’aide à faire passer plein de choses et je m’éclate bien là-dedans.
Vous initiez donc aussi vos élèves au trail ?
Oui, ils font du trail et de la course à pied. J’organise aussi un cross depuis sept ans, qui regroupe six établissements et plus d’un millier d’élèves du CP à la 5e. Je l’ai initié afin que les enfants bougent davantage. J’ai également monté un projet avec Nicolas Martin, « De la Lavande à la glace », dans lequel j’ai impliqué mes élèves durant plusieurs mois. L’idée était de traverser le département des Hautes-Alpes en partant du point le plus bas pour atteindre le point le plus haut, à la force des bras et des jambes, le tout en passant par les dix communautés de communes. Ils ont participé à cette initiative en élaborant le tracé, en choisissant les montagnes qu’on allait gravir et les personnages qu’on allait rencontrer. J’estime que dans l’enseignement, c’est important de donner du sens à ce que les enfants apprennent. Si c’est trop abstrait, ils n’y voient pas d’intérêt. Il faut tout ramener au local et à leur propre vie. On fait aussi de la cohérence cardiaque tous les jours et j’essaie de leur donner plein d’outils de respiration. Parce qu’à l’école, finalement, on nous apprend à lire, à écrire, à compter, un peu à bouger, un peu à manger, parce que c’est dans les programmes. Mais on ne nous apprend absolument pas à respirer…
Propos recueillis par Véronique Bury, Photos : © Stéphane Demard et race2024@mds