Personnage attachant, décalé et grande gueule, Alexandre Boucheix s’est fait connaitre dans le milieu du trail par sa présence médiatique, sa fameuse casquette verte vissée sur la tête. Coureur lambda hier, il a réussi à atteindre le haut du peloton pour y jouer les avant-postes sans véritable plan de préparation jusqu’il y a peu. Malgré cela, son objectif reste le même : courir (beaucoup), et se faire plaisir.
Vous vous êtes fait connaitre dans le milieu du trail sous le pseudonyme « Casquette verte ». D’où vient ce nom ?
Étudiant, j’étais président d’un BDE (bureau des étudiants) en école de commerce et, tous les ans, on organisait un week-end d’intégration durant lequel on distribuait des casquettes et des t-shirt colorés aux étudiants de première année. Il me restait des stocks chez mes parents. Quand j’ai commencé à courir quelques années plus tard, j’avais l’image de Forrest Gump dans la tête, et je me suis dit qu’il me fallait une casquette. Je suis donc descendu à la cave en chercher une. Je suis tombé sur une verte,
mais cela aurait très bien pu être une bleue ou une violette ! J’ai pris la première et j’ai commencé à courir avec… jusqu’au jour où une copine en a eu marre de me voir en photo sur les réseaux dégoulinant de sueur après chacune de mes sorties. Elle m’a dit : « ta gueule transpirante on s’en fout ! » (sic). Comme j’avais envie de continuer à partager mes sorties, j’ai commencé à poser ma casquette au sol devant mes pieds pour prendre la photo. On ne pouvait pas en vouloir à une casquette ! C’est comme ça, à
partir d’un gimmick avec une pote, que j’ai fini par choisir ce nom de casquette verte pour mon blog. Et tout le monde l’a adopté !
Racontez-nous votre histoire avec la course à pied…
Je ne suis pas un athlète, à la base. J’ai fait du sport au collège mais je n’ai jamais vraiment couru. Je n’avais pas d’appétence pour ça. La course à pied, pour moi, cela se résumait juste à me sucrer mes dessins animés à la télé une fois par an le dimanche matin, parce que des gars couraient le marathon de Paris ! J’étais plus un amateur de pêche, de hand ou de skate. Quand j’ai commencé à travailler, à 25 ans, j’avais un physique déplorable, avec 25 kg en trop. J’étais incapable de courir 10 m sans
être essoufflé. J’avais envie de me remettre au sport, mais ça me saoulait (sic) d’aller jouer loin de chez moi un week-end sur deux avec le hand et je n’avais plus envie de me prendre des gamelles en skate. Au boulot, j’avais un collègue qui participait régulièrement à des marathons et des trails. En l’écoutant nous raconter ses préparations à la machine à café, je me disais que ça devait être un gros mytho (sic) ou un extraterrestre. Et puis un jour, il m’a proposé de l’accompagner. J’ai accepté.
Et vous avez adoré ?
J’ai détesté ! La première fois, je suis rentré chez moi en jetant mes chaussures : « plus jamais ça ! ». Mon collègue a insisté et m’a convaincu de persévérer. Et finalement, après deux-trois sorties, j’ai commencé à y trouver du plaisir, à sentir que je pouvais progresser. J’ai commencé à y aller tout seul, de plus en plus souvent, dans l’idée de battre mes records. De 3 km, je suis passé à 4, puis à une heure… Et j’ai fini par prendre un dossard en 2015, sur un premier semi-marathon. À l’arrivée, je me
suis dit : « Pourquoi pas continuer ? », et je me suis inscrit à mon premier marathon. Et là, mon collègue est revenu vers moi pour me chauffer à le suivre sur la SaintéLyon. Ça a été la bascule.
C’est-à-dire…
Je n’avais pas du tout conscience que des trucs pareils puissent exister ! Je suis tombée dedans. La nuit, la difficulté, j’ai trouvé ça très dur physiquement mais le fait de réussir à aller au bout, de le vivre, j’ai adoré. Adoré aussi l’effort d’endurance et de mental que cela demande. J’ai tout de suite compris que j’aimais ça, et j’ai enchainé rapidement avec mon premier Eco-trail de Paris. J’ai ensuite couru les Templiers, où j’ai découvert un peu plus encore l’ambiance du trail, son univers, les gens
autour, les ravitos au Roquefort, la bière sur la ligne d’arrivée, l’absence de pression, la sympathie et la solidarité… J’ai kiffé tout ça et j’ai commencé à allonger les distances petit à petit. Je me suis inscrit à la CCC et j’ai été tiré au sort, puis à la Diagonale des fous. J’ai testé et j’ai pris des claques encore plus grosses. J’ai découvert la montagne que je ne connaissais pas du tout, découvert les gros dénivelés, ce que c’était que de courir 15 heures d’affilée dont une partie de nuit, le format
ultra, le vrai, où tu dépasses les 33 heures, où tu luttes aussi bien physiquement que psychiquement contre ton propre sommeil. J’ai surkiffé et je n’ai plus jamais arrêté !
Quelle place a pris depuis la course à pied dans votre vie ?
Je cours tous les jours. Au début, c’était juste pour m’entrainer, mais c’est devenu une manière de vivre. Je vais au boulot en courant, en soirée en courant. Je fais un ultra par mois, je cours 10 000 km par an. C’est devenu plus facile pour moi de courir que de marcher. Il n’y a plus de temps mort dans ma vie. Je n’ai pas d’abonnement Netflix, et je passe peu de temps à faire autre chose que courir, mais ce qui est cool, c’est qu’en courant, j’arrive à faire des tas de choses. Ça fait cinq ans que 98% de
mes congés et RTT passent dans la course à pied. Parfois j’arrête mon boulot à 16H45, et je pars aussitôt courir avec mon pote. On fait nos 215 bornes le samedi et le dimanche, on reprend un train à 19h, et le lendemain matin, je suis au bureau. À force, j’ai appris à caser mes ultras dans mes week-ends sans poser de congé. Avec l’habitude, j’arrive à gérer la fatigue à peu près bien. Bon, j’ai l’avantage de ne pas soulever des parpaings de 200 kg toute la journée dans mon travail.
En plus d’accrocher des dossards vous aimez aussi vous lancer des défis un peu fous comme ce Paris-plage entre Saint Mandé et Honfleur (224 km) ou encore cette Opération Schengen, où vous avez traversé 5 pays (215 kms pour 4000 D+) tout en vous arrêtant boire des bières aux bars des villages traversés… Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces challenges ?
Je ne suis pas quelqu’un qui se nourrit de la compétition. Je prends autant de bonheur dans les ‘’off’’. Bien sûr, j’aime bien mettre un dossard et aller sur l’UTMB tous les ans pour me mesurer aux meilleurs mondiaux. Mais ce n’est pas mon moteur. Je suis plutôt comme Forrest Gump, à qui on demande : « Mais pourquoi vous êtes parti courir ? », et qui répond : « J’avais juste envie d’aller courir ! ». Le fait de rajouter des trucs marrants, cela évite de se lasser. Parce qu’avant mes 23 ans, sincèrement, je
pensais que la course à pied, c’était un truc de plouc (sic) où on se faisait chier (sic). Mais j’ai réalisé que non ! Je m’amuse vraiment en courant, et c’est super agréable. Surtout avec la condition physique que je me suis créé. Maintenant qu’elle est là, je peux faire un peu n’importe quoi. Je sais que je suis en sécurité et que je ne me mets pas en danger. Mon corps me le permet. Habiter Paris quand tu fais de l’ultra, ce n’est pas le plus simple, il faut bien se les inventer les ultras !
Jusqu’à présent vous aviez aussi toujours couru en autodidacte. Pourtant vous avez décidé de vous rapprocher d’un coach cette année. Pourquoi ?
Jusqu’à présent, je courais 25 heures par semaine, entre 170 et 250 kilomètres. Je ne m’entraînais pas, je courais simplement. Mais cela n’est plus possible, car j’ai moins de temps à consacrer à la course à pied depuis cet été (il est devenu papa). Comme j’ai envie de continuer à jouer les avants postes sur les courses et à faire des off à côté, il fallait donc que je trouve une solution en courant moins mais en courant mieux. Cela va être difficile car je ne me suis jamais entrainé de ma vie, je n’ai jamais
fait de fractionnés, ni de renforcement musculaire, et je n’ai jamais structuré mes séances. J’ai juste fait du volume. Avec Nicolas Martin, on a deux visions très différentes de la course à pied, mais je sais que j’ai plein de trucs à apprendre grâce à lui. On va donc essayer de trouver une mixture entre nos deux façons de penser pour garder une base de volume à l’intérieur de laquelle je viendrai rajouter petit à petit des exercices avec intensité. En même temps, je suis aussi un peu curieux de voir ce que
cela peut donner car je n’ai jamais pensé faire le dixième de ce que j’ai réussi à faire. Je me souviens encore de cette blague que j’avais lancée à des potes lors de ma première diagonale : « Quand je ferai top 10 j’arrêterai ! » C’était un truc inimaginable et finalement c’est arrivé l’année dernière, sans que cela soit un objectif. Je vais donc voir si cela m’amuse, et si ce n’est pas le cas, j’arrêterai pour reprendre mes vieilles habitudes.
Vous dites souvent en citant Brel « Le talent ça n’existe pas, le talent c’est d’avoir envie de faire quelque chose ». Vous avez envie de quoi aujourd’hui ?
Depuis deux-trois ans, ce qui était devenu fun, c’est que je suis un peu devant pendant les courses. Je ne pensais pas que cela allait m’arriver, mais finalement je me rends compte que ce qui me motive c’est de courir, simplement. Pas de gagner. Cela peut paraitre tout con, mais je fais un parallèle avec l’avion. Les avions, s’ils avaient une âme, ils ne se sentiraient bien que quand ils volent, le tarmac ne les intéresserait pas. Moi, c’est pareil. Je ne me sens bien que quand je cours. Ce sont des moments
privilégies et précieux. Il me reste donc encore quelques petites courses à cocher, mais j’ai fait quasi tout ce que j’avais envie de faire en découvrant le monde de l’ultra. Alors peut-être que je pourrai basculer de l’autre côté, en devenant bénévole sur certaines courses ou alors en utilisant l’univers de Twitch sur mes courses. J’aime bien ce réseau, sa communauté et l’interaction qu’il y a dessus. D’ici peu, on devrait pouvoir être en live tout en courant sur des courses, et je me demande si je ne vais pas
sacrifier un peu le côté performance sportive pour embarquer du matos et faire interagir les gens pendant que je cours. Je pourrais par exemple monter un truc caritatif du style « tant qu’il n’y a pas 1000 euros dans la cagnotte je ne bois pas d’eau ou je ne mange pas », ou alors « si on atteint 10 000 euros j’enlève mes chaussures et je fais les prochaines sections en chaussettes ! ». J’ai envie de développer autrement le côté « courir pour une association ou une cause », en essayant de proposer un truc un peu
plus fun et sympa que ce qui existe actuellement et qui ne donne pas très envie.
Vous êtes effectivement suivi par 12 500 personnes sur votre chaine Twitch et 125 000 sur Instagram. Comment expliquez-vous votre popularité ?
Je pense que j’ai été le bon con (sic) au bon moment ! Beaucoup de personnes me disent que je fais partie de ceux qui ont contribué à faire changer ce sport. Je ne suis pas d’accord. Le trail était déjà dans une dynamique lancée par une seule et unique personne : Kilian Jornet. C’est lui qui a fortement transformé cette pratique de cinquantenaires, la randonnée, en un sport jeune et cool. Moi, je me suis juste fait attraper. La randonnée, il y a quelques années, c’était le truc le plus chiant de la terre pour
un type comme moi… J’étais jeune, citadin, un peu fêtard et je partais faire des ultras le week-end avant de retrouver mon costume de travail la semaine. Ça a été plus facile pour les gens de s’identifier à moi qu’à un mec qui a gravi son premier 3000 m à l’âge de 3 ans et qui a passé le reste de sa vie à la montagne. Ceux qui sont tombés sur moi sur les réseaux ont suivi mes résultats et cela a fait boule de neige. J’étais le bon petit jeune à ce moment-là, mais cela aurait pu être n’importe qui d’autre. En
tout cas, cela n’a jamais été réfléchi ou planifié.
Casquette verte est finalement devenue indissociable d’Alexandre Boucheix ?
Je me suis souvent demandé comment je pouvais détruire Casquette verte. J’ai même imaginé faire comme les Daft Punk, et faire un clip pour faire exploser ma casquette au milieu du désert. Mais je me suis ravisé. Je pense que ce serait dommage de ne pas l’exploiter davantage. Pas commercialement parlant, mais plus pour faire un truc sympa. Je pense en effet que j’ai encore des tas de choses à faire avec.
Propos recueillis par Véronique Bury