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Erik Clavery : « Le partage est mon moteur »

Champion du monde de trail en 2011, recordman de France des 24 heures en 2019, deux fois quatrième de la Diagonale des Fous en 2009 et 2012… Erik Clavery s’est construit un joli palmarès avant de se lancer sur d’autres défis en solitaire. Cette année, il a passé 46 heures à relier Brest à Nantes par le canal historique. L’an prochain, il compte s’attaquer aux 2200 km du GR34, sur le littoral breton. Rencontre avec un coureur qui place l’humain au cœur de ses aventures.

Vous êtes revenu cette année sur le Grand Raid de la Réunion, quinze ans après votre première participation en 2009. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

La Diagonale a été mon premier ultra-trail et cela reste encore aujourd’hui ma course de cœur. C’est une épreuve magnifique dans un décor grandiose. J’étais déjà revenu en 2022, mais j’étais blessé. Je souffrais d’une hernie aux cervicales et cela avait été très compliqué. J’avais terminé dans la douleur. J’avais donc à cœur d’y courir à nouveau mais dans de meilleures conditions et avec une meilleure préparation. Je ne sais pas si ce sera ma dernière participation, mais j’ai été très heureux d’avoir été au bout quinze ans après (il a terminé 26e en 31h50’ après 175 km et 10 000 m de D+). Le monde du trail s’est énormément professionnalisé depuis mes débuts sur cette course. Les meilleurs coureurs ne font plus que ça, désormais. Ils viennent au minima deux semaines avant l’épreuve pour se préparer spécifiquement sur le terrain, ils ont des partenaires qui leur permettent de s’investir à fond et d’optimiser tous les aspects de leur performance. À mes débuts, on était davantage dans l’aventure, avec des gens qui travaillaient en parallèle.

Vous ne visez peut-être plus les premières places sur la Diag’, mais vous avez établi un nouveau record en mars dernier, en parcourant les 345 km du canal de Brest à Nantes en 46 heures et 15 minutes. D’où vous est venu l’idée de ce nouveau défi ?

Depuis quelques années, je me suis pris d’affection pour les Off et les records sur sentiers balisés sans organisation officielle. Ça a commencé en 2015 après avoir effectué une partie du GR5 entre Courchevel et Nice. J’avais alors vécu un moment très fort émotionnellement en partant de la haute montagne pour arriver à la mer. C’est ce qui m’a donné envie de m’attaquer au record des Pyrénées sur le GR10, en 2020, pour mes 40 ans. Je l’ai couru en 9 jours, 9 heures et 12 minutes (pour 887 km et 55 000 m de D+) et, là encore, cela a été un moment formidable que ce soit en partage d’émotions et de sensations, en termes de liberté, de gestion de projet et de mental. Beaucoup de domaines qui me sont chers. J’avais donc envie de repartir une fois encore cette année, mais comme je comptais également m’aligner sur la Diagonale des fous, je cherchais quelque chose de plus court et de plus accessible. J’aime bien l’idée de traverser un paysage en allant d’un point à un autre. Cette traversée par le canal historique de Nantes à Brest m’a donc semblée intéressante, d’autant que je compte faire le tour de la Bretagne l’année prochaine par le GR34, c’est-à-dire en partant du Mont Saint-Michel pour aller jusqu’à Saint-Nazaire le long du littoral. J’étais aussi en pleine prépa 24h et comme ce parcours était tout plat, cela me permettait de rester dans une dynamique d’entraînement tout en allant chercher de nouvelles choses.

C’est-à-dire…

J’avais déjà fait des 24 heures, j’avais même déjà couru 30 heures non-stop, mais je n’avais jamais fait deux nuits sans dormir. J’avais donc envie de mettre ça en œuvre, sans me reposer, pour voir comment je pouvais soutenir cet effort et avec quels outils je pouvais me surpasser.

A long terme, vous avez annoncé vouloir vous attaquer à la Via Alpina (2 650km) en 2026, et à la Pacific Crest trail (4 200km) en 2027. C’est votre nouvelle façon de vivre la course à pied ?

Exactement ! Il y a 13 ans, j’étais champion du monde, j’avais 31 ans. Mais j’en ai 44 aujourd’hui. J’ai besoin de me réinventer en me fixant de nouveaux objectifs, tout en restant proche de mes valeurs qui sont la performance et l’aventure. Mon objectif à terme est de faire le Pacific Crest Trail, un sentier de grande randonnée aux Etats-Unis qui m’a toujours fait rêver. Pour y arriver, il faut que je me mette en place des étapes intermédiaires.

Qu’est-ce qui vous plait dans ce type de défi ?

Le partage et toute la gestion de projet en amont. Comme il n’y a pas de course officielle, il faut tout organiser : l’assistance, l’entourage, la logistique, les campings cars, l’alimentation, le matériel… Il faut aussi penser à la gestion de la course. Comment vais-je courir ? À quel rythme ?  Quelle fréquence ? Quels vont être mes phases de sommeil ? C’est le descriptif de l’aventure avec un grand A, un peu comme les marins sur le Vendée Globe… Et puis, le fait de courir en off permet aussi de proposer à des gens de venir courir à mes côtés. Sur le canal de Nantes à Brest, beaucoup de personnes sont venues m’accompagner, soit parce que ça leur faisait plaisir, soit parce que la cause que je défendais leur parlait (il courait alors pour la Ligue contre le cancer, à la suite du décès de son entraîneur et ami Pascal Balducci). Cela m’a permis de vivre des émotions fabuleuses et de rencontrer des personnes incroyables. On s’épaule tous les uns les autres, et c’est aussi ce qui donne la force à ce type de projet.

Comment se prépare-t-on ? Est-ce différent d’un ultra ?

Pas tellement. Car ce n’est pas parce que l’on fait des distances beaucoup plus élevées que l’on doit courir davantage à l’entrainement. Ce serait complètement irraisonnable et stupide. Je cours d’ailleurs un peu moins à l’entraînement afin de me préserver physiquement et mentalement quand je me prépare à ce type d’aventures. Je fais également moins d’intensité que pour un 40 km ou un 70 km, et je me base essentiellement sur du footing pour garder cette biomécanique de la course à pied, et du vélo pour travailler l’endurance fondamentale. En revanche, je fais un gros travail de préparation mentale. Car il y a beaucoup d’outils à mettre en place et beaucoup de préparation en amont, afin de laisser le moins de place à l’imprévu pendant l’évènement.

Si on connait aujourd’hui votre palmarès, on connait moins votre histoire personnelle avec la course à pied… Racontez-nous !

Je suis tombé dedans tout petit ! À 6 ou 7 ans, je courais déjà pour rentrer de la plage entre le phare de la Coubre et la Palmyre, lorsque je passais mes vacances en Charente maritime. J’avais des parents profs d’EPS et on aimait bien le coté aventure. Comme j’étais très introverti et très réservé, la course à pied était mon moyen d’expression. Je courais tout le temps et, d’une certaine manière, j’étais déjà dans le trail puisque j’évoluais en pleine nature. On faisait aussi beaucoup de randonnée dans les Pyrénées sur deux ou trois jours. Mais je n’ai pas fait de l’athlétisme dans un club. J’ai pris une licence à 19 ans, quand j’ai commencé mes études à La Rochelle. C’était uniquement pour participer aux cross, je m’entrainais de mon côté de manière autonome. J’ai ensuite fait du triathlon pendant plusieurs années et je suis revenu au trail en 2008, à 28 ans. Grâce à toute cette expérience accumulée, cela a tout de suite fonctionné. Et en trois ans, je me suis retrouvé champion du monde.

Un an plus tôt, vous vous étiez également rapproché de votre premier véritable entraîneur, Pascal Balducci. Que vous a-t-il apporté ?

Je l’ai contacté en 2010, quand j’ai appris ma sélection pour les championnats du monde. Je voulais savoir si cela l’intéressait de m’entrainer et il a accepté. Il a eu confiance en moi et je lui ai fait confiance, mais le plus fort c’est qu’il a réussi à me donner confiance en moi. Et ça a tout changé. Le fait d’avoir un entrainement structuré et une approche plus scientifique m’a aussi permis de passer un cap et d’enchainer les résultats sur de nombreuses courses. Il m’a aidé à m’épanouir et à grandir en tant que sportif. On a grandi ensemble. Il était passionné d’entrainement, mais ce n’était alors pas son métier. Il a repris ses études à mes côtés pour se perfectionner et devenir entraineur à 200%. On s’est poussé mutuellement vers le haut. On en a d’ailleurs fait un livre, qui est une sorte d’aboutissement de nos 13 années de co-construction.

Est-ce ce parcours qui vous a donné envie de vous réorienter vers la préparation mentale à votre tour ?

J’ai toujours été très attiré par le mental et ce qu’il pouvait nous apporter dans la performance. Et c’est vrai que son parcours m’a ouvert les yeux sur ce que j’aimais et ce dont j’avais vraiment envie. J’ai donc décidé, à mon tour, d’abandonner mon travail dans le bâtiment pour me former et me reconvertir dans ce métier qui me passionne.

Aujourd’hui, si vous deviez vous retourner sur votre passé, quelle serait votre plus belle victoire ?

Cela dépend ce que l’on entend derrière le mot victoire. La victoire humaine est d’avoir rencontré quelqu’un d’exceptionnel et d’avoir lié une amitié forte avec lui. Après, sportivement, je suis tenté de dire la Traversée des Pyrénées, mais pas pour le record, pour l’aventure humaine. Je reste sur l’aspect social, sans doute parce que j’ai ressenti un manque quand j’étais adolescent. Partager des choses avec des gens et vivre des amitiés fortes, c’est la plus grande victoire que m’apporté le sport et la course à pied. Ma rencontre avec Pascal, mes résultats sportifs, mes aventures, mon métier de préparateur mental et toutes ces rencontres que cela m’apporte encore aujourd’hui : c’est cela que je retiens avant tout.

Et l’épreuve où vous avez peut-être le plus souffert ?

Sportivement, ma plus grande douleur a été mon premier 24 heures, aux Championnats de France à Albi en octobre 2018, lorsque je me qualifie pour les championnats du monde. J’ai énormément souffert physiquement ce jour-là. J’en ai eu des courbatures pendant douze jours, ce qui ne m’était jamais arrivé. Psychologiquement, ma plus grande douleur a été le décès de Pascal, fin 2023.

A 44 ans, qu’est-ce qui vous motive encore à chausser les baskets tous les jours ?

Vivre mes rêves, me challenger et rester dans cette dynamique physique, car cela contribue à tout ce qu’il y a derrière, notamment à ma santé. La course à pied est un mode de vie, une philosophie. Je ne cours pas tous les jours, je fais aussi beaucoup de vélo, mais je m’entraine quotidiennement. Quant à mes rêves… Je rêvais de passer sur 24 heures en 2017, je l’ai fait. Et même si j’ambitionnais de dépasser les 300 km, je suis fier de ce que j’ai accompli. J’ai également réalisé cette aventure sur le GR10 dans les Pyrénées, et maintenant je rêve de traverser les États-Unis par cette crête de l’ouest américain, cette Pacific Crest Trail. C’est l’aventure qui m’a toujours fait rêver. Mais quand j’aurai fini ça, j’en imaginerai d’autres. Parce qu’il y a toujours des choses à faire. Le trail, c’est tellement varié et diversifié que l’on aimerait tout faire. En termes de courses, j’ai eu la chance d‘en faire pas mal, et avec des résultats honorables : la Western States aux Etats-Unis, des top 5 au Grand Raid, des tops 10 sur l’UTMB, le Marathon des sables. Je suis donc très heureux de ce que j’ai réalisé au cours de ma carrière.

Propos recueillis par Véronique Bury

Rédaction J'aime Courir, le 18/11/2024 23:11:00
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