J’aime courir poursuit sa série consacrée à des séances d’entrainement clés, racontées par leurs acteurs principaux. Aujourd’hui, Romain Legendre nous décrit une séance sur piste effectuée dix jours avant son record personnel sur 5000 m (13’02’’18) lors du meeting de Boston, le 1er février.
LE PROGRAMME
Après un footing de 20 minutes à 15 km/h, quelques gammes et étirements actifs, Romain enfile des baskets plus légères pour effectuer deux 200 m en 29’’-30’’, avec juste 1’30’’ de récupération entre les deux, « histoire de réveiller la machine », avant d’attaquer le gros de la séance. Celle-ci consiste à enchainer : 1000 m à allure 5000 m - récup’ 4’ - 2x300 m à allure mile entrecoupé de 2’ de récup’ - 7’ de récup’ – 800 m à allure 3000 m - récup’ 4’ - 2x300 m à allure mile entrecoupé de 1’30’’ de récup’ - et pour finir un 200 m à « allure rapide mais en étant relâché ». Parti dès le 1000 m sur des allures un peu plus rapides que celles demandées par son coach, Romain a finalement couru sa série en 2’32’’07 - 43’’09 et 43’’05 - 1’56’’08 - 43’’04 et 42’’04 - 27’’06. Derrière, il a effectué un footing de 32 minutes à 15 km/h afin d’évacuer l’acide lactique qui commençait à s’accumuler en fin de séance.
OÙ ET QUAND
Le mardi 21 janvier à 15 heures sur la piste indoor de 200 m d’Adam States à Alamosa (États-Unis), à 2300 m d’altitude. Il faisait alors 5 degrés en extérieur et 12 degrés environ sous la « bulle », sorte de couverture gonflable, d’Adam States. Au couloir 6 car courir au couloir 1 sans les virages relevés est trop dur pour les articulations et les chevilles.
LE CONTEXTE
Avant cette première grosse séance d’intensité de la saison, Romain avait effectué beaucoup de volume et de travail de seuil, cumulant trois semaines à 200 km en moyenne. Le matin même, il avait également effectué (à 7h) une première session comprenant « un échauffement de 25’ à 15km/h par -23 °C, suivi d’une séance de seuil de 5x1600 m à 3’08’’ au kilo, récup’ 1 min, et 2x200 m en 29’’01 et 29’’05 (1’30’’ de récup’) pour préparer le corps à la séance de l’après-midi ». Comme il était le seul de son groupe d’entraînement à participer au 5000 m de Boston, il a effectué cette séance seul, en s’appuyant juste sur ses camarades d’Adam States, qui effectuaient des séries de 400 m, sur ses premiers tours de piste lors de son 1000 m et de son 800 m. Après ses 41 km cumulés sur la journée, Romain est rentré « KO » chez lui s’alimenter et se reposer. « J’ai fait deux heures de soins le lendemain : massage, bain froid et bottes de presso-thérapie ». Après cette journée, il a levé un peu le pied à l’entrainement, et simplement effectué une double séance de seuil le vendredi afin de garder le rythme.
LES SENSATIONS DE ROMAIN LEGENDRE
« J’appréhendais un peu cette séance car c’était la première grosse session en termes d’intensité et que je ne savais pas du tout ce que le coach m’avait programmé. Il m’avait juste annoncé : « ça va aller vite et on va bien bosser ! ». En même temps, je sais que l’on fait ce type de séance très dure une fois par mois, je m’y étais donc préparé mentalement. Je sais que cela va être dur mentalement et physiquement, que ça va piquer, mais j’aime bien ça, car il faut rester concentré tout le long pour donner le maximum… Et ce jour-là, tout s’est bien passé. Dès la première répétition, je me retrouve à faire 2’32’’ au lieu des 2’36’’ demandés, sans forcément trop forcer. Je me suis dit ‘’Ok, je suis bien rentré dans la séance’’. C’était important, car, pour moi, c’est la distance sacrée à l’entrainement. J’ai réussi à rester bien relâché, je poussais bien sur les jambes, j’étais super bien. Pareil sur le 800 m, je cours en 58’ sur le premier 400 m, je sens que je peux aller super vite et je fais 1’56’’. Je me dis « waouh » en voyant le temps sur ma montre. Il restait encore deux 300 m et un 200 m mais pour moi, dans ma tête, la séance était déjà finie. J’étais super content. Les dernières séances jouent souvent un rôle particulier avant une compétition, surtout la dernière grosse séance, et ça a vraiment été le cas avec celle-ci. Car je n’ai vraiment pas souffert. J’ai été un peu lactique après le 800 m, mais je n’ai pas été en difficulté. Je me suis senti en contrôle tout le long. Je me suis retrouvé sur la ligne de départ à Boston, sans aucune appréhension. Je n’avais pas peur des allures, au contraire ! Quand je valide ce type de séance, la seule chose qui me motive derrière, c’est qu’on me donne un dossard et que je me retrouve sur la ligne de départ. J’étais dans un état d’esprit de ‘’killer’’ (sic), parce que j’avais fait les chronos demandés et que j’étais vraiment bien, mais surtout parce que je sentais que j’avais de l’énergie et de la puissance dans les jambes. J’étais impatient, d’autant que cela faisait un moment que je n’avais pas couru en compétition. Le jour J, je voulais faire moins de 13’10’’. J’avais même écrit 13’08’’ sur la fenêtre de ma chambre en septembre 2024. C’est un chrono que j’avais en tête, mais à ce moment-là, je n’avais aucune idée de ce que je pouvais faire… Je ne savais même pas quel était le record de France ! Ce n’est qu’après la course que j’ai appris que je l’avais battu moi aussi (NDLR : Jimmy Gressier se l’est approprié en le devançant pendant cette course. »
À VOUS DE JOUER
Damon Martin, coach de Romain Legendre, décrypte la séance de son élève et donne les clés à ceux qui souhaitent s’en inspirer.
« Ce type de séance sert principalement à ‘’choquer’’ le système nerveux avant l’objectif compétitif. On remet des allures rapides avant la compétition car c’est un bon moyen de stimuler le corps à un effort intense, la mémoire musculaire permet ensuite de répéter cet effort le jour J. L’idéal est donc de la placer dix jours avant l’objectif compétitif, mais on peut également l’utiliser pour travailler la vitesse une fois par mois en période non compétitive.
Cette séance, effectuée en altitude, s’adresse plutôt à des athlètes de haut niveau, habitués à encaisser des efforts violents et qui ont une capacité de récupération plus accrue. Romain est par exemple capable de l’assimiler en 48 à 72 heures. Pour un coureur de moindre niveau, il faudrait donc, en plus d’adapter les allures à son niveau et à ses objectifs, la placer encore plus en amont de la course afin de lui laisser un peu plus de temps pour bien récupérer. Les temps de récupération entre les séries sont ici assez longs car nous sommes en altitude et c’est crucial pour ne pas créer trop de fatigue durant la séance. Dans chaque préparation, il est nécessaire de travailler tous les secteurs d’allures : endurance, seuil, intensité de course, récupération. On détermine chaque allure selon la progression et le niveau du coureur. Cette séance représente le secteur « intensité de course », soit la partie la plus intense du plan d’entraînement, mais qui ne représente qu’une petite partie de l’entraînement et qui permet avant tout de préparer le corps à un effort très violent. Dans le cadre de ce type de séance, il est aussi essentiel de prioriser la récupération après la séance et de ne pas réitérer d’effort trop proche sous risque de créer trop de fatigue et de rentrer dans le surentraînement. »
Véronique Bury pour J'aime courir