À 37 ans, le spécialiste du demi-fond, champion d’Europe du 3000 m steeple à Zurich en 2014, n’est pas encore prêt à raccrocher les baskets. Passionné, il fourmille encore d’objectifs à atteindre sur la route, du 10 km au marathon. Rencontre à l’orée d’une avant dernière saison.
Vous entamez l’année 2025 par un stage à Potchefstroom en Afrique du sud. C’est un lieu que vous affectionnez particulièrement ?
Cela fait un paquet d’années que je viens ici, depuis 2009. C’est un lieu qui a marqué ma carrière. À l’époque, c’était le repère de Mehdi Baala. C’est lui qui a commencé à en parler aux autres membres de l’équipe de France, et c’est devenu un lieu culte. J’y ai côtoyé beaucoup de monde de la génération de Mehdi, en passant par Bob Tahri, Mahiedine Mekhissi, Florian Carvalho. J’y reviens donc toujours avec beaucoup d’envie, de passion et de motivation. Là, j’y suis pour trois semaines
(il est arrivé le 19 février, NDLR).
L’heure n’est donc pas encore à la retraite…
Je me donne encore deux ans pour tenter des choses. L’année dernière, j’ai eu quelques pépins physiques qui font que j’ai eu un retard mais j’ai couru en 13’18’’ sur 5000 m en fin de saison, cela prouve que je suis encore loin d’être fini.
Avec quel objectif ?
Je suis passé sur marathon mais, pour le moment, j’ai un gros problème de point de coté qui perturbe mes compétitions. C’était déjà le cas quand j’étais plus jeune et c’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai jamais fait beaucoup de cross dans ma carrière. Je me souviens d’un championnat d’Europe juniors où j’étais quatrième à la cloche avant la dernière boucle de 1500 m et où je termine finalement dernier à cause d’un point de côté. Je n’avais pas ce problème sur piste, mais cela revient depuis que je
fais du long. C’est assez perturbant et très pénalisant. Car si je me fie à ce que je réalise à l’entrainement, même si c’est toujours facile à dire, j’ai le profil d’un coureur de moins de 2h10’ sur marathon, moins de 62’ au semi et moins de 28’ sur 10 km. Sauf que sur le papier, je suis resté à 28’05’’, 62’17’’ et, encore pire, 2h14’57’’ sur marathon (à Paris en 2023). C’est pour cette raison que je me donne encore deux ans. Je n’ai pas vendu une olympiade à mes partenaires. Je reste dans le concret.
D’où tirez-vous votre motivation ?
Le rêve serait de remettre au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si je ne me trompe pas, je dois en être à 47 sélections. Il y a deux ans, je visais les 50, mais maintenant ça va être compliqué. Donc si je pouvais retourner en sélection au moins une fois, ce serait vraiment super. Sur le semi-marathon, j’ai un record à 62’17’’. À Paris, j’espère faire moins de 62’15 pour la symbolique, car c’est une perf IB et potentiellement c’est le chrono de qualification pour aller aux Europe de semi. Même
si j’imagine que cela ne sera pas suffisant pour y aller, ce serait déjà une grosse satisfaction de le réaliser. Après, j’ai un dossard pour le marathon de Rotterdam le 12 avril, mais je vais d’abord courir mon semi le 16 mars et construire la suite de la saison en fonction. Pour le reste, j’ai trois objectifs en termes de chronos que j’ai mis sur mes réseaux : faire moins de 28’ sur 10 km, moins de 62’ sur semi et moins de 2h10’’ sur marathon. Je me dis qu’après ça, je pourrai arrêter ma carrière. Avec mes 3’33’’75
sur 1500 m, mes 13’18’’ sur 5000 m et mes 8’12’’ sur 3000 m steeple, je pourrai dire que j’ai accompli pas mal de mes objectifs dans ma vie d’athlète. Se dire que moins de 2h10’ sur marathon, ça parait tellement faible aujourd’hui au vu du niveau international, c’est fou !
Revenons à votre carrière justement. Depuis votre première cape internationale, aux championnats du monde juniors de cross de Saint-Galmier, vingt années se sont écoulées. Comment avez-vous fait pour entretenir la flamme au fil des ans ?
Il y a différents facteurs. Le premier, c’est cette relation de confiance que j’ai toujours eu avec mon coach, Patrick Petitbreuil. Sans lui, je n’en serais jamais arrivé là. Sans ma femme non plus, sans mes beaux-parents et ma belle-famille. Pendant toutes ces années, j’ai mis l’athlé au centre de ma vie. C’était égoïste, mais j’ai eu la chance d’avoir eu tous ces gens autour de moi, passionnés et investis dans mon projet. Avec Patrick, on s’est enrichis tous les deux, l’un et l’autre. On a toujours été dans
l’échange et la réflexion de savoir ce qui pouvait être le mieux pour nous et pour progresser en diversifiant l’entraînement. Cela a contribué à cette belle longévité. Ma femme, quant à elle, a accepté ma passion et elle aussi s’est investi à fond en bousculant sa propre vie. Elle m’a suivi sur tous les championnats, a pris des congés sans solde, elle m’a aussi permis d’avoir une vie saine, sans excès ni extras. Et puis, j’ai aussi lié au fil des ans des amitiés très fortes, avec des Carvalho, Durand, Lastennet,
Malaty, avec qui je suis toujours pote. Car même si on était parfois adversaires, comme avec Florian Carvalho aux Jeux sur 1500 m (à Londres en 2012), il y a toujours eu une confrontation très saine. Je pense que ça aussi, cela entretient la motivation, car tu as envie de te battre contre ton pote mais d’une bonne manière. Ce sont toutes ces choses, basées sur les relations humaines, qui m’ont permis de durer et de garder ma motivation intacte.
Et physiquement comment avez-vous fait pour tenir aussi longtemps ?
Je me suis très peu blessé, c’est ma chance. La seule grosse blessure, je l’ai eue en 2020 pendant le confinement, à force de courir sur du goudron en chaussures ultra fines pour essayer de simuler la sensation des pointes sur la piste. Je pense que j’ai toujours été très pro et très consciencieux dans tout ce que je faisais. En juniors, j’avais déjà mes ordonnances pour faire mes soins kiné à Font-Romeu. Et chez moi, j’ai toujours eu un suivi médical sérieux avec kiné, ostéo, podologue. Je n’ai jamais négligé
les soins, ni l’alimentation. Je bois trois litres d’eau par jour, j’évite les sorties. Je ne bois pas d’alcool, je ne fume pas. J’ai aussi investi rapidement dans des bottes de presso-thérapie. J’ai aussi un sauna, un bain froid et un jacuzzi à domicile pour faciliter la récupération. En 2020, je me suis même équipé d’un Tecar (matériel pour faire de la Tecar Thérapie) pour faciliter la cicatrisation de ma blessure, car mon kiné à Périgueux n’en avait pas.
Et à l’entraînement, avez-vous adapté des choses au fil des années ?
Je n’ai rien changé durant toutes ces années, si ce n’est depuis un an. Mon coach a arrêté l’été dernier, et je m’entraine seul depuis. Cela s’est fait d’un commun accord. Il m’avait déjà tellement donné et j’avais les connaissances pour continuer sans lui. J’ai commencé à écrire mes propres plans d’entraînement et il m’a suivi au Kenya pour un dernier stage l’hiver dernier. Je m’intéresse aux nouveautés qui sortent, comme le double seuil. J’évolue et je me rends compte que je suis désormais davantage dans
le contrôle. Je me ‘’dépouille’’ beaucoup moins à l’entrainement, tout en produisant de meilleures choses en compétition. J’ai par exemple couru en 13’18’’ l’été dernier sans avoir réalisé les grosses séances que je faisais étant jeune. Je pense que le corps a une mémoire et cela doit m’aider à ne plus lui demander les mêmes intensités qu’auparavant. Cela me fait penser à une anecdote lors d’un stage en Afrique du Sud. J’étais encore un jeune espoir qui arrivait et je m’étais retrouvé sur une séance avec Mehdi
Baala. C’était une séance basée sur le contrôle, un 2 x 8 x 400 m. Et sur le dernier bloc, j’avais commencé à accélérer. On était en 58’-59’ et je lui avais dit que je voulais essayer 56’-57’. Mehdi m’avait alors dit, « non, on n’accélère pas, cela ne sert à rien ». Mais j’étais le jeune fougueux et sur le dernier 400 m, je suis parti à fond, en mode compétition. Au final, j’ai fini en 52’ derrière lui, car j’avais piqué son honneur. Il m’avait ‘’déboité’’ dans la dernière ligne droite avant de m’engueuler devant
tout le monde : « C’est fini ! Je ne m’entraine plus jamais avec toi ! » Je n’avais pas compris, à l’époque. Pour moi, il fallait se dessouder et envoyer de la purée à l’entraînement. J’étais avec Baala, le taulier, et j’avais juste essayé de le sortir de ma foulée. Le soir Philippe Dupont nous avait fait la morale à table, en disant que j’avais été stupide d’accélérer comme ça, que c’était des choses que je comprendrais plus tard. Et c’est effectivement ce que je dis aux jeunes aujourd’hui. C’est sans doute
ce qui a changé finalement : ma vision de l’entraînement. Je suis plus dans l’écoute des sensations, je regarde davantage le cardio et je fais même depuis quelques mois des prises de lactates pour vérifier que je ne suis pas trop haut en intensité. Je ne faisais pas tout ça avant.
En janvier, vous avez aussi accompagné un ami sur un semi… et vous avez franchi la ligne d’arrivée des régionaux de cross aux côtés de votre fils. Vous avez besoin de varier les plaisirs ?
Ça a été des moments magnifiques ! Pour l’anecdote, l’ami c’est un copain de mon premier groupe d’entraînement avec qui j’étais resté très proche. C’est une histoire d’amitié tellement belle que lorsqu’il m’a demandé de l’aider à Valence, je n’ai pas pu refuser. Cela m’a aussi permis de me remotiver à m’entrainer après la claque que j’avais prise sur le marathon de Shanghai (il a fini en 2h24’, terrassé par un point de côté). J’avais envie de l’aider et ça m’a fait un bien fou ! Quant à mon fils, cela fait
des années qu’il me suit sur son vélo à l’entrainement et qu’il rêve de claquer la banderole sur la ligne d’arrivée. Je n’étais même pas au courant qu’il allait me rejoindre. C’est ma femme qui lui a proposé de courir les derniers mètres avec moi quand elle a vu que j’avais suffisamment distancé mes poursuivants. Cela m’a touché, car j’ai envie de transmettre à mes enfants. Je sais que l’athlé est un sport très ingrat, mais quand je le vois aller faire des tours de pistes tout seul pendant que je m’entraine,
sans y être forcé, je me dis qu’il a déjà des prédispositions et que l’envie se construit doucement. Je pense que cela fait aussi partie de ma motivation aujourd’hui. Car j’ai envie de leur montrer que leur père peut encore être performant à 37 ou 38 ans.
Et Gaya, votre chienne, vous suit-elle encore partout ?
Elle ne peut plus. Elle a fait dix ans de carrière, et puis un jour, en 2022, au moment de sortir, elle m’a regardé devant le portail de la maison et elle a fait demi-tour pour rentrer. J’ai compris à ce moment-là, qu’elle ne viendrait plus. Ça a été terrible comme sensation, parce que c’était plus qu’un chien pour moi. Elle m’a vraiment accompagné à faire du bi-quotidien tous les jours. Tous les demi-fondeurs de France la connaissait. Elle faisait toutes mes séances en dehors de la piste, les séances de côtes,
de fractionnés, de fartlek dans la forêt. Ça a été un vrai plus de l’avoir, surtout quand il pleuvait ou qu’il faisait froid l’hiver. Chez moi, on ne croise personne, alors forcément, il y a des jours où tu es moins bien, où tu n’as pas forcément envie d’y aller, mais il suffisait que je mette mes baskets et que je l’entende aboyer comme une folle pour que je retrouve l’énergie. Elle aussi a participé à cette longévité dans ma carrière. C’était plus qu’un partenaire !
Et la course à pied, que vous a-t-elle apporté au cours de toutes ces années ?
Du bien-être, de belles valeurs, du dépassement de soi. C’est ingrat, je le dis souvent, pour le haut niveau, mais c’est aussi très beau d’être un sportif professionnel et de pouvoir côtoyer des sportifs amateurs sur une même ligne de départ. Cela m’a aussi permis de voyager partout dans le monde et de faire des tas de belles rencontres. Je suis quelqu’un de très ouvert et cela m’a énormément enrichi d’un point de vue personnel. Sans compter toutes les émotions que cela procure, notamment en compétition. Et
puis, c’est aussi un anti dépresseur naturel par excellence. Si tu ne vas pas bien, que tu as un moment de doute, ou même juste besoin d’un espace de créativité, et bien tu n’as qu’à aller courir ! Quel que soit ton niveau, quelle que soit ta vitesse, tu vas sécréter des endorphines et revenir comme neuf. Ça libère l’esprit et ça fait un bien fou. Moi, j’en ai besoin : je suis un drogué de course à pied.
Et dans deux ans, comment envisagez-vous la suite ?
Je continuerai à courir. Je ne me vois pas arrêter. Je testerai sans doute d’autres sports, mais je garderai toujours un pied dans la course. J’aime trop ça. Je veux tester des choses, me lancer d’autres challenges. On me parle souvent du trail. Clairement, cela ne m’attire pas du tout. Mais je ne dis pas que je n’en ferai jamais parce qu’on ne sait jamais, justement. On prévoit d’aller s’installer à Font-Romeu avec ma femme. On verra bien à ce moment-là mais, quoi qu’il arrive, je serai dans la transmission.
Je l’ai déjà fait une fois lors d’un stage avant des championnats du monde juniors et j’ai adoré ça. Je compte passer mes diplômes. J’aimerai bien aussi organiser des stages dans des lieux d’entraînement cultes que j’ai aimés, comme le Kenya, Font-Romeu ou l’Afrique du Sud. J’ai la chance d’avoir beaucoup de choses à partager après plus de 20 ans de carrière.
Propos recueillis par Véronique Bury