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Manon Trapp : « Je suis tombée amoureuse du marathon ! »

C’est sur les tapis de judo que Manon Trapp a appris à se battre, petite, contre l’adversité. Sur les tatamis que la Savoyarde s’est construit ce physique puissant et solide. Mais c’est sur l’asphalte qu’elle s’éclate aujourd’hui, sur le bitume qu’elle explose les chronos. Le 23 février, elle a ainsi battu le record de France du marathon en courant en 2h23’38’’ à Séville (depuis amélioré par Mekdes Woldu). Confidence d’une jeune coureuse qui a connu le coup de foudre pour les 42,195 km.

Vous l’aviez annoncé sur les réseaux et vous l’avez fait. Le 23 février, à Séville, vous avez battu le record de France du marathon en 2h23’38’’. Depuis quand y songiez-vous ?

J’ai couru mon premier marathon il y a un an et demi, et je suis littéralement tombée amoureuse de cette discipline. J’avais déjà fait un bon chrono à l’époque et forcément, quand on fait du haut niveau, on cherche le record de France. J’y songeais donc depuis ce moment-là. Mais encore plus depuis mon deuxième qui s’était beaucoup moins bien passé et où j’avais abandonné au 25e kilomètre (NDLR : en avril 2024 à Rotterdam). J’avais envie de prendre ma revanche. Au début, c’était un objectif, mais au fur et à mesure des séances, j’ai pris conscience que c’était vraiment réalisable. Je commençais à bien tenir les allures, la préparation se passait super bien et mon coach me disait que c’était possible. Pour lui, la course à pied, c’est comme les mathématiques. Si tous les signaux sont au vert et si je suis à 100% mentalement et physiquement, il n’y a pas de raison que cela ne passe pas. Je lui ai fait confiance et je l’ai annoncé. Mais il fallait encore le faire !

Vous dites que vous êtes tombée amoureuse de cette discipline, expliquez-nous…

Dès la première course, j’ai eu le coup de foudre, pour les sensations que l’on y éprouve. L’allure, aussi. J’adore courir au train. J’aime sentir que je suis dans la maitrise de mon allure, tout en laissant une énorme place pour la gestion des émotions et du mental. Sur un marathon, on a vraiment le temps de penser, de passer par des hauts et des bas tout le long de la course. J’aime ce côté méditatif de la discipline. Parfois, il faut arrêter de penser, sinon on perd du jus. Il faut juste réussir à poser l’esprit pour être sur ses sensations, se laisser aller. C’est très différent des autres courses, plus courtes, où tout va très vite et où on n’a pas le temps de vagabonder. On va aussi beaucoup plus loin aussi dans l’effort, ce qui génère des émotions encore plus fortes. Il y a aussi la question des ravitos. On explore plein de choses tout au long de l’épreuve et c’est vraiment hyper cool. Je n’avais jamais vécu quelques chose d’aussi intense avant de courir un marathon.

Vous avez pratiqué le judo durant de longues années, vous avez même été dans le top 10 français. Qu’est-ce qui vous a fait bifurquer vers la course à pied en 2017 ?

J’ai pratiqué le judo pendant onze ans dans un petit club familial, jusqu’au moment où je n’avais plus vraiment de personne de mon gabarit pour continuer à m’entrainer et à progresser. Comme je suis quand même assez compétitrice, je touchais les limites. Je ne pouvais plus viser plus haut. J’étais prise en internat à Bretigny-sur-Orge en pôle espoirs, mais je n’avais pas non plus envie de vivre en internat. Soit je stagnais, soit je changeais de sport. Et comme j’avais envie de changement et que j’aimais bien courir dans le cadre de ma préparation, je me suis dit : « Pourquoi ne pas essayer de me mettre à fond dans la course à pied ? » Et j’ai immédiatement accroché.

Et vous vous êtes rapidement illustrée au plus haut niveau, en cross notamment, mais aussi sur piste et sur route, avec plusieurs titres nationaux juniors, espoirs et seniors. Comment expliquez-vous cette réussite ?

Je pense que le judo m’a bien formée, tant physiquement que mentalement. C’est un sport assez ingrat, différent certes, mais où on travaille beaucoup le mental. On tombe, mais on se relève tout le temps, on prend des clés de bras, des étranglements. Je m’entrainais quatre fois par semaine, uniquement avec des mecs. C’était assez rugueux, un peu militaire. Je courais tous les week-ends et je faisais un peu de musculation. J’avais donc déjà la base physique et le mental… Après, je pense que lorsqu’on se prend au sérieux et que l’on y prend aussi du plaisir, les choses se font naturellement. Je n’en étais d’ailleurs pas vraiment consciente au début. A mes premières sélections internationales, je venais un peu en touriste !

Vous avez changé de coach en 2021, puis en 2024. Qu’est-ce que cela vous a apporté dans votre progression ?

J’ai commencé à Boulogne-Billancourt, en région parisienne, puis j’ai déménagé pour mes études et j’ai alors rejoint le groupe local d’Aix-les-Bains. Ce premier changement m’a permis de découvrir une autre approche de l’entrainement. Mais c’est surtout l’effet de groupe qui m’a aidé à progresser à ce moment-là. C’était hyper motivant de courir tous ensemble. J’ai ensuite sollicité Jean-François Pontier après mon premier marathon, fin 2023. J’avais tellement adoré cette distance que j’avais envie de voir ce que cela pouvait donner si je m’inscrivais sur un vrai projet marathon. Je lui ai donc demandé de m’entrainer, car je sentais que j’avais besoin de son expertise pour progresser. On collabore depuis janvier 2024 et c’est vraiment depuis ce moment-là que ma pratique a changé. En compétition et à l’entraînement.

Vous parliez de l’importance du collectif, mais vous vous entraînez seule désormais ?

Effectivement, je m’entraine souvent toute seule quand je suis chez moi, au Bourget-du-Lac. Mais j’essaie de partir régulièrement en stage, que ce soit à Iten (Kenya), ou à Font-Romeu, afin de retrouver cet apport du groupe, ce soutien si important pour moi. Je suis convaincue que l’on ne se dépasse pas autant ou de la même façon quand on est tout seul. C’est plus facile de faire une bonne prépa quand on est en groupe.

Vous êtes trois à avoir battu coup sur coup le record de France du marathon : Méline Rollin en février 2024, vous en février, et maintenant Mekdes Woldu. Comment vivez-vous cette densité sur le marathon féminin en France ?

Cela nous pousse vers le haut, forcément. À chaque fois qu’il y en a une qui bat le record de France, cela nous donne un nouvel objectif et nous force à progresser encore, à se surpasser. C’est une saine concurrence car on s’entend toutes super bien. Il y a un excellent état d’esprit. Même si on ne s’entraine pas forcément ensemble, on peut parfois se retrouver en stage, comme cela a été le cas avec Mekdes au Kenya. Cela dépend surtout des objectifs, car on ne court pas forcément les mêmes marathons. C’est toujours sympa de pouvoir échanger sur nos vécus, nos différences, nos expériences. Moi, je suis jeune et j’ai encore tout à apprendre. Je m’enrichis donc énormément des autres, même des hommes. Il y a quand même pas mal de solidarité dans cette discipline. Cela doit être dû au fait que les prépas sont très difficiles. Il y a la fatigue, les blessures, on galère sur certaines séances éprouvantes. Le volume aussi. Il y a quand même peu d’athlètes en dehors des marathoniens qui se font des séries de 15x1000 m. Mais c’est aussi ce que l’on aime : chaque grosse séance est une petite victoire !

Vous adorez le marathon aujourd’hui, mais qu’est-ce qui vous a plu initialement dans la course à pied ?

Ce sentiment de liberté que l’on éprouve en courant. La simplicité. On peut vraiment courir quand on veut, où on veut, on n’a pas besoin de partenaire comme au judo. Le fait d’être en extérieur aussi, de courir sur les chemins, d’être en contact avec la nature, connecté à son environnement. Et on ne s’ennuie jamais en course à pied. On peut toucher à un tas de disciplines différentes, le cross, la piste, la route… J’adore le cross parce qu’on court à l’instinct, sans s’occuper du chrono et sur des parcours à chaque fois très différents et uniques. Cela dit, j’aime autant la route, courir longtemps, les séances de seuil et les longues sorties. En fait, j’adore courir tout simplement ! Les endorphines que ça procure, et le fait de se fixer des objectifs, de se challenger constamment.

Vous avez longtemps mené un double projet, et avez décroché un master en géographie en espace montagneux. A quoi ressemble votre quotidien aujourd’hui ?  

Je suis toujours chez moi en Savoie, où je m’entraine seule et où je profite de mes proches. Mais je suis désormais à 100% dans l’athlé. C’est ce qu’il faut, étant donné l’énergie que cela demande pour tout gérer entre la prépa marathon, la récupération, la communication, les relations avec les partenaires. Ce n’est pas possible de ne pas être à 100% si on veut progresser. Et je compte bien l’être sur les quatre prochaines années. Mon objectif est de battre mes records d’année en année et d’exploiter mon potentiel au maximum afin d’aller aux Jeux olympiques de Los Angeles sur marathon. C’est ma ligne directrice.

Vous êtes tout de même ambassadrice et bénévole au sein de l'association Mountain Riders, est-ce une façon de vous engager personnellement pour l’environnement ?

Je m’intéresse à beaucoup de choses et notamment à tout ce qui touche à l’environnement et la géographie. J’ai toujours eu ce besoin de m’investir dans des causes qui me tiennent à cœur. C’est pour cette raison que j’ai rejoint Mountain Riders. J’y suis bénévole car j’aime bien aider. Je fais principalement des fiches-actions. Ce sont des sortes de fiches récapitulatives des actions vertueuses sur les plans socio-économique et environnemental, qui se déploient en montagne et qui permettent d’avancer dans la transition écologique de ces territoires. On les répertorie afin de les essaimer ensuite sur d’autres régions. Mon rôle est de passer des coups de fil et de récupérer des données sur les actions menées. Cela me permet d’avoir un pied dans un autre domaine que celui de la course à pied, qui me passionne et vers lequel je pourrai basculer dans le futur quand j’en aurai marre du sport de haut niveau.

Propos recueillis par Véronique Bury
Photos : Paola Tertrais et Lionel Hahn / KMSP

Rédaction J'aime Courir, le 02/04/2025 13:46:00
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