Sur 100 km, Roland Vuillemenot a tout gagné. Quintuple champion de France de 91 à 96, champion du monde en 90, il n’a jamais arrêté d’avaler les kilomètres, raflant également de nombreux titres et records dans les différentes catégories masters, sur toutes les distances de la route mais aussi en trail. En 2024, il espérait briller à nouveau aux championnats du monde chez les M75. Hélas, à 78 ans, les séquelles d’une tumeur à la cuisse l’ont stoppé dans ses ambitions de centbornard. Mais, une chose est sûre,
celui qui compte neuf sélections internationales dans les années 1990 n’a pas encore dit son dernier mot. Rencontre.
Vous n’avez pas couru depuis votre forfait en octobre aux 100 km d’Amiens, que s’est-il passé et comment allez-vous ?
Je suis toujours en stand-by, après une longue période sous antibiotique. A l’automne, j’avais encore du liquide dans une cuisse suite à une opération pour une tumeur en 2010. Cela ne m’avait jamais gêné, jusqu’aux 24 heures de Saint-Maixent, que j’ai terminé avec la cuisse toute déformée. Comme j’étais focalisé sur les championnats du monde du 100 km, je ne me suis pas affolé plus que ça et j’ai continué à m’entraîner malgré tout. Hélas, deux jours avant les championnats de France, j’ai senti du liquide couler
entre mes jambes : le trou de l’opération s’était rouvert. J’ai donc été hospitalisé pour nettoyer la cavité. Et maintenant j’attends que cela se résorbe. Ca s’améliore, mais c’est très long. L’écoulement est plus faible depuis quelques semaines et j’ai recommencé à courir un peu. Mais je n’ose pas sortir trop longtemps. J’attends le feu vert de mon médecin. J’espère en savoir plus d’ici trois ou quatre semaines…
Parlons course à pied alors… Racontez-nous comment vous vous êtes retrouvé à faire partie de l’élite française du 100 km ?
Dans les années 70, il n’y avait pas encore trop de courses, si ce n’est quelques cross l’hiver, je faisais plutôt du vélo. La course à pied, j’aimais bien, mais je ne me sentais pas vraiment bon. Et puis un jour, mon club a décidé de créer le premier marathon du pays de Gex. C’était un peu symbolique, car ici, les gens ne connaissent que le pays de Gex ! On est situé dans une enclave entre le Jura et la Suisse. J’ai donc décidé d’aller reconnaitre le parcours. Je l’ai fait en une fois et puis je me suis amusé
à le diviser en 3 pour m’entrainer dessus en allant un peu plus vite. Le jour J, je me suis finalement décidé à m’inscrire et j’ai gagné ! C’est comme ça que tout a commencé.
Vous auriez pu rester sur marathon, qu’est-ce qui vous a incité à grimper ensuite sur 100 km ?
J’ai d’abord continué à courir pour m’améliorer sur marathon car je n’avais qu’une idée en tête : progresser sur cette distance. J’ai buté pendant plusieurs années à 2h32’ - 2h34’ avant de réussir à descendre sous les 2h30’. J’ai même fait 2h21’40’’ en 1986, l’année de mes 40 ans. Le 100 km, je n’y avais jamais songé. Et cela a aussi été un concours de circonstances. Une commune en Suisse, juste à côté, avait décidé d’organiser une course anniversaire de 90 km, en y conviant les meilleurs coureurs étrangers
de 100 km. Je côtoyais ceux qui couraient avec moi dans le coin et je me suis dit qu’ils n’étaient pas plus forts que moi. J’ai donc décidé de m’inscrire, comme ça, juste pour voir. Bien sûr, cela n’a pas été facile, je n’étais pas vraiment préparé mais j’ai fait ma course et j’ai terminé 14e, derrière de bons Français comme Jean-Marc Bellocq, qui était à l’époque le leader en France. Le lendemain, comme j’avais mal partout et que je n’arrivais plus à descendre les escaliers, j’étais convaincu que ce n’était
pas une distance pour moi. Finalement, un an plus tard, à l’approche des championnats de France, je me suis ravisé et j’ai décidé de me préparer en conséquence. J’ai fini cinquième au scratch et premier de ma catégorie chez les vétérans. A nouveau un an plus tard, en 1987, j’enchainais avec une troisième place lors des premiers championnats du monde de la distance en Belgique.
Vous avez également remporté le titre mondial en 1990, à l’âge de 54 ans.
Oui, mais j’y ai été à mes frais ! À l’époque, la Fédération ne sélectionnait pas les vétérans pour les championnats du monde. On m’a juste prévenu quatre semaines avant la compétition qui avait lieu aux États-Unis, qu’il y avait une place à prendre mais à ma charge. J’y suis allé. J’étais en super forme cette année-là : j’avais fait les France à Nice, le marathon de Berlin. Je me sentais super fort et j’ai gagné ! J’étais super content de mon coup !
Vous êtes resté sur cette distance et vous avez raflé tous les titres M60, M70, M75… Combien avez-vous couru finalement de 100 km en 35 ans de carrière ?
J’en ai couru 90 ! Désormais, cela devient un peu plus dur et plus long pour moi. Mais à l’époque, c’était facile, je me sentais tellement à l’aise. Parfois je me disais même à l’arrivée : « c’est dommage que ce soit si court ! » Car j’aimais bien créer la surprise et finir rapidement pour faire la différence dans les derniers kilomètres. C’est ce qui me plaisait le plus. Cela me rappelait un peu mes années de vélo. Je lançais la course au début, tout le monde s’accrochait à moi, puis je me mettais en retrait,
et je relançais comme ça deux ou trois fois avant de véritablement partir sans me retourner. Je pense que c’est ce côté tactique qui m’a le plus plu dans le 100 km. Ce n’était jamais la même course.
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Il y en a beaucoup, c’est difficile de choisir ! Peut-être le Spartathlon (NDLR : une course d’ultra-fond mythique, entre Athènes et Sparte, longue de 246 km), que j’ai gagné en 1996. Parce que c’était quand même inattendu. J’avais eu de terribles maux de ventre à mi-parcours après m’être rué sur les ravitos. Je n’arrivais même plus à courir, jusqu’à ce que je voie un Japonais se faire vomir devant moi en se mettant deux doigts dans la bouche. Je n’avais jamais vu ça, mais je l’ai imité et deux heures après,
j’ai retrouvé mes esprits et j’ai mis le turbo ! Je m’en souviens encore parfaitement, j’étais déchainé ! Je me suis retrouvé à courir avec un Américain sur la fin de course. On s’arrêtait à chaque fois ensemble pour boire un coup. À un moment donné, on s’est assis, on a bu et je l’ai surpris en me relevant plus vite. J’ai dit « Go ! » et je suis parti sans me retourner… Et j’ai gagné ! Un sacré souvenir. Sinon, en termes de performance, mon meilleur souvenir reste quand même mon record de France du 100 km en
6h30’. Même si je pense que ce jour-là, j’aurais sans doute pu faire mieux. Mais j’avais couru la course en tête tout du long et je n’avais plus envie d’accélérer sur la fin.
Vous avez couru des 100 km, des 24 heures, le Spartathlon, l’UTMB… Quelle est finalement la course la plus difficile ?
Qu’est-ce qu’on appelle difficile ? Il y a effectivement des courses très dures, mais cela dépend surtout dans quel état on est. Pour moi, c’est surtout quand on est mal et que l’on a des difficultés à avancer que c’est difficile. Je me souviens par exemple d’un championnat du monde en Espagne où j’avais pris froid parce qu’il n’y’avait pas de chauffage à l’hôtel. J’avais un titre à défendre et je pensais vraiment faire quelque chose ce jour-là. Mais cela ne répondait pas, je n’y étais pas. Cela avait été
une souffrance atroce d’aller jusqu’au bout parce que je n’arrivais pas à m’exprimer comme d’habitude. Pour moi, c’est là qu’est la difficulté.
Vous avez passé plus de 35 ans à enchainer les kilomètres, quel est votre secret pour durer physiquement ?
Je n’en ai pas ! Je me prépare juste pour les courses importantes. J’y pense constamment et je m’imagine en course. C’est dans ma tête et je m’entraine pour cela. Parfois deux fois par jour. Mais c’est très variable, car je n’ai jamais eu de règles ou de plans d’entraînement. Parfois, je n’ai pas prévu d’entrainement mais je vois un joli coucher de soleil et je chausse mes baskets pour sortir quand même. C’est plus fort que moi. En revanche, je me suis toujours entrainé seul car je n’aime pas courir avec les
autres. J’ai besoin de courir à mon rythme, en fonction de mon envie du moment. Si j’ai envie de courir vite, je cours vite. Si j’ai envie de ralentir, je ralentis. Je fonctionne beaucoup au feeling. Parfois, j’aime bien aussi me mettre des challenges en essayant de m’améliorer sur un même entraînement entre celui du matin et du soir. J’ai une montre mais je ne l’utilise pas vraiment. En revanche je note tout ce que je fais, car je cours entre 50 et 150 km par semaine. Plus jeune, je suis monté à 200 km hebdomadaires
sur certaines préparations, mais je ne cours plus autant. Je suis obligé d’adapter mes entraînements. Mes envies changent aussi.
Et avec votre vie professionnelle, comment avez-vous fonctionné pendant toutes ces années ?
Au début je travaillais comme ingénieur au CERN (organisation européenne pour la recherche nucléaire, NDLR), mais je n’aimais pas vraiment mon métier. C’était trop administratif pour moi et je n’avais pas envie de faire ma carrière là-dedans. J’ai tout arrêté l’année où j’ai gagné mon premier marathon et je me suis lancé dans la construction de ma maison. Je m’occupais de nos trois enfants et c’est ma femme qui travaillait. C’était d’ailleurs un peu mal vu à l’époque, et je ne le disais pas trop. J’ai mis
plusieurs années à construire ma maison tout en m’entrainant et après j’ai construit d’autres choses, un chalet notamment. Cela me laissait pas mal de temps pour courir quand j’en avais envie.
Vous habitez aux pieds des montagnes, n’avez-vous jamais été attiré par l’univers de l’ultra-trail ?
J’en ai fait un peu au début. J’ai même participé au premier UTBM en 2003 où j’ai terminé 16e après m’être perdu dans la montagne. Mais ce n’est pas ce que je préfère. En trail, on doit s’adapter au terrain, l’esprit de compétition et la tactique de course y sont moins importants que sur un 100 km. Ça n’a rien à voir. Moi, ce que j’aime dans la course à pied, c’est la compétition. Et puis, je n’étais pas un très bon descendeur, ni un kamikaze. Et je n’avais plus l’âge non plus pour descendre vite !
Finalement, qu’est-ce que cela vous a apporté et vous apporte toujours de courir aussi régulièrement depuis toutes ces années ?
Pour moi, la course à pied est synonyme de vie. On se sent vivant quand on court. C’est pour cette raison que c’est très difficile pour moi aujourd’hui, car je vis un très mauvais moment avec ma blessure. Alors que quand je cours, je sors de tout ça. Je ne pense plus à mon âge. D’ailleurs plus je prends de l’âge, et plus j’ai envie de continuer à courir ! Là, j’attends le feu vert. Mais c’est un impératif, je vais recourir. J’espère juste que je n’aurai pas trop de séquelles. En attendant, je marche un peu
et j’attends de pouvoir me remettre au vélo. Je n’ai d’ailleurs jamais arrêté de rouler non plus. Avant cette blessure, je m’imposais même une sortie de 80 à 100 km tous les dimanches. Même après une course. Parce ce que je sentais que cela me faisait du bien. C’est peut-être ce qui m’a finalement aidé à performer en course à pied. Le vélo est un complément indispensable, pour l’endurance, mais aussi pour la stratégie. J’ai hâte de pouvoir y retourner.
Propos recueillis par Véronique Bury