Après avoir passé dix ans sur les terrains de rugby, Jason Pointeau a renoué avec l’athlétisme, son premier amour, puisqu’il fut un sprinter de grand talent avant de basculer sur les longues distances. Il s’est même brillamment illustré lors du dernier marathon de Paris en terminant premier Français en 2h13’36’’. Une sacrée performance pour ce fondeur de 36 ans, qui travaille à temps plein comme professeur d’EPS et coach à l’Entente Bassin Athlétisme (Gironde). Rencontre.
Vous avez terminé 15e du dernier marathon de Paris et premier Français. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
Beaucoup de fierté ! J’avais décidé de participer à cette course parce que je trouvais ça chouette, en tant que Français, de courir dans la capitale. Il y avait un peu un côté « bleu blanc rouge » sur cette course. Alors terminer premier tricolore, je ne pouvais pas rêver mieux ! Ça m’a apporté beaucoup de joie. Je ne me sentais pas plus fort qu’à Valence, en décembre dernier, et je savais que ce serait compliqué sur ce parcours moins roulant de battre mon record. J’ambitionnais tout de même de finir parmi
les meilleurs Français.
Vous avez couru en 2h10’33’’ à Valence, vous voilà meilleur Français à Paris, et vous n’êtes pourtant pas athlète à plein temps. Comment expliquez-vous ces performances ?
J’ai pratiqué l’athlétisme durant toute ma jeunesse et mon adolescence. Ça m’a permis de développer certaines qualités physiques. Et même si j’ai fait une pause de dix ans pour pratiquer le rugby, ça a dû laisser des traces, une certaine base. Et puis, j’ai fait aussi quelques années de trail et d’ultra trail, qui m’ont aussi apporté une certaine résistance à l’effort bien utile sur marathon.
Toutes ces années d’athlétisme… racontez-nous.
J’ai commencé l’athlétisme, très jeune, à l’US Dax. Je devais avoir 6 ans et ça a été tout de suite un coup de cœur et une passion jusqu’à mes 17 ans. Je ne vivais alors que et pour l’athlétisme. Petit, j’ai touché à beaucoup de disciplines, avant de me spécialiser à partir de cadets sur le 200 m et le 400 m. C’est sur le tour de piste que j’ai été le plus performant, avec un record en 48’44 en juniors (21’’98 sur 200 m, ndlr). Je ne m’entrainais que deux ou trois fois par semaine. J’ai aussi sauté à 7,06
m à la longueur. Mais à 17 ans, en arrivant à la fac de sport à Bordeaux, j’ai découvert le rugby et j’ai décidé d’arrêter l’athlé. Pendant dix ans, je n’ai plus couru en dehors du terrain de rugby.
Et comment avez-vous retrouvé l’athlé, cette fois côté course de fond ?
Après la fac, je suis parti travailler en région parisienne comme prof d’EPS, avant d’obtenir ma mutation pour revenir dans le sud-ouest. À mon retour, j’étais blessé au poignet, une petite fracture au niveau du scaphoïde qui avait été mal soignée. On m’a conseillé de mettre le rugby en pause pendant un moment. C’est à cette période, en voyant l’un de mes deux frères ainés qui pratiquait déjà le trail et l’ultra-trail, que j’ai eu envie de me tourner vers cette discipline. Le rugby me prenait beaucoup de temps.
C’est un sport collectif avec des contraintes, et j’avais envie d’aller vers un sport dans lequel je pouvais être plus libre. Avec la course à pied, tu n’as pas d’obligation d’horaires, ni de jour, c’est plus simple quand tu as des enfants et une vie de famille. J’ai donc commencé à disputer quelques trails, des 20 km, puis des 40 km, et avec la surenchère j’ai fini par grimper sur 70, 80 km et même 100 et 130 km. Finalement, je pense que même pendant toutes mes années de rugby, l’athlé était toujours resté là
quelque part, au fond de moi.
Qu’est-ce qui vous plaisait tant dans l’athlétisme ?
Au tout début, j’adorais les cross. Puis je me suis mis à préférer courir vite. Mais ce que j’aimais surtout dans l’athlé, c’était la compétition, le fait de se mesurer aux autres : aller plus vite, lancer ou sauter plus loin.
C’est ce que vous avez retrouvé en vous remettant à la course à pied ?
D’une certaine manière. J’adore toujours autant cette espèce de petit nœud au ventre et cette adrénaline que l’on ressent sur la ligne de départ d’une course. J’aime beaucoup les émotions que ça me procure. Après, avec le trail et notamment l’ultra trail, j’ai aussi découvert le dépassement de soi et le fait de courir pour soi-même sans prêter attention aux autres. C’était quelque chose de nouveau pour moi, et mine de rien, ça m’a plu tout autant. Quand on part pour 130 km, que l’on court de nuit, souvent
seul, c’est différent, mais on se mesure aussi à soi-même.
Pourquoi être finalement redescendu sur route et sur marathon ?
A cause du manque de temps pour m’entrainer. Après quatre années de trail, j’avais atteint une sorte de palier qui nécessitait de m’entrainer davantage en montagne pour continuer à progresser. Comme j’habite à Gujan sur le bassin d’Arcachon, à quelques heures des premiers sommets, je n’avais tout simplement pas envie de sacrifier ma vie de famille pour aller passer plus de temps en montagne.
Vous avez couru votre premier marathon en 2023 à 34 ans, en 2h22’15. C’est un sacré temps pour une première. Ça vous a étonné à l’époque ?
Un peu. Même si, durant la préparation, je m’étais déjà rendu compte que je pouvais valoir moins de 2h30’. Je m’étais d’ailleurs fixé dans un coin de ma tête un chrono de « 2h25’ ». Au final, je cours en 2h22’ après avoir été très prudent, car j’avais très peur de me prendre le fameux mur et je n’avais pas osé accélérer. C’est ce jour-là que j’ai senti que j’avais des choses à faire sur cette distance.
Vous êtes professeur d’EPS et entraineur d’un groupe de demi-fond à l’Entente Bassin Athlétisme. Comment ça se passe-t-il au quotidien ?
Je m’entraîne douze fois par semaine, quasi deux fois par jour, sauf le dimanche, et ma femme, qui est handballeuse, fait aussi du sport de manière intense. On passe notre vie à combler les trous ! Généralement, je cale mes entraînements quand je ne travaille pas, le matin très tôt et le midi, avant que tout le monde ne se lève. Ça demande pas mal d’organisation et quelques sacrifices. On profite par exemple beaucoup de nos deux enfants, mais de manière séparée.
Arrivez-vous à transmettre à vos élèves votre passion de la course à pied ?
Je les croise souvent entre midi et deux. Ils me voient revenir de mes footings et savent que je cours. J’enseigne dans un lycée professionnel, très rural, dans une filière industrielle. Ils ne sont pas très sportifs et n’ont pas de notion des performances. D’autant que lorsqu’on fait 2h10’ à Valence, on est quand même 30e au classement général. J’essaie quand même de leur transmettre ma passion pour le sport et, le plus important, la nécessité de se bouger pour leur vie future. Mais ce sont des lycéens, ils
ont déjà entre 16 et 18 ans… C’est bien avant que ça se joue. Au lycée, on ne les voit que deux heures par semaine. Il faudrait davantage de sport à l’école pour avoir un réel impact à ce niveau-là.
Et la suite, comment l’imaginez-vous après ces récentes performances ?
J’ai envie de continuer à progresser. Mon rêve ultime serait de pouvoir vivre au moins une saison sans contrainte, c’est-à-dire comme un sportif professionnel, pour essayer d’exploiter tout mon potentiel. Car pour le moment, je m’entraîne comme un amateur, un vrai. Je ne peux pas aller en stage comme d’autres athlètes de l’équipe de France et j’ai moins de temps pour bien récupérer. Mais financièrement, c’est compliqué. J’ai déjà réduit un peu mon volume horaire au lycée, afin de m’investir davantage dans
le club. Ça n’est pas possible de prendre une année sabbatique. Il me faut des revenus et je n’ai pas de sponsors. Je vais donc peut-être essayer de réduire encore un peu la voilure en tant que prof, afin de passer moins de temps sur la route (son lycée est à 40 km de chez lui) et me trouver un complément de salaire. L’idée est de continuer sur marathon et peut-être de grimper ensuite sur 100 km. C’est une distance qui me tente bien et sur laquelle j’irais bien me frotter en 2026.
Ne regrettez-vous pas parfois d’avoir lâché l’athlétisme à 18 ans ?
On me pose souvent la question. Mais non, clairement non. Je garde un souvenir exceptionnel de mes dix années de rugby. J’y ai fait des rencontres extraordinaires et je n’ai aucun regret. D’autant que je ne suis pas certain qu’en me tournant vers à la course à pied beaucoup plus tôt, ça aurait changé quelque chose. C’est peut-être l’addition de tout ce que j’ai vécu qui fait que je performe aujourd’hui à 36 ans. Et peut-être que si je n’avais jamais arrêté l’athlétisme, au contraire, je serais aujourd’hui
déjà essoufflé, tout cassé, et plus du tout dans le circuit des coureurs.
Propos recueillis par Véronique Bury