Actualités
Tifany Huot-Marchand, un marathon pour se relever

Victime d’un terrible accident qui aurait pu la laisser paralysée en 2022, la patineuse de vitesse Tifany Huot-Marchand a été contrainte de tirer un trait sur sa carrière de short-track huit. Mais pas sur le sport. En 2024, elle a pris le départ du Marathon pour tous des Jeux olympiques, première étape avant de renouer un an plus tard avec la compétition en para-cyclisme. Un parcours fait de résilience et de courage qu’elle raconte dans son autobiographie, « Avec toute mon âme », sortie il y a deux mois.

Il y a trois ans, jour de votre terrible accident, on vous annonce que vous ne remarcherez plus. Que se passe-t-il dans votre tête à ce moment-là ?

C’est le chaos. C’est très dur, violent. Heureusement, je me suis très vite ressaisie et, surtout, j’ai immédiatement été dans le déni de ce qui s’était passé. Je me suis convaincue que ça allait aller, que j’allais retrouver la marche et mon autonomie, refaire du sport de haut niveau. Je pense que c’est ce qui m’a aidé à m’en sortir. Je voulais tout faire pour retrouver ma passion et mon entourage. Le fait d’avoir été sportive de haut niveau et d’avoir été prise en charge très rapidement après l’accident a aussi été très important dans mon cas. Beaucoup de personne ne comprennent d’ailleurs pas que ce soit possible de remarcher. Parce que dans la tête de tout le monde, quand on est tétraplégique, il n’y a pas de retour en arrière possible. Mais moi, ma moelle épinière n’a pas été sectionnée. C’est une lésion. Elle a été touchée, certes, et il y avait peu de chance que cela fonctionne, mais ce n’était pas impossible si on m’opérait rapidement.

Un miracle. D’autant qu’un an et demi plus tard on vous retrouve au départ du Marathon pour tous des Jeux Olympiques de Paris. Racontez-nous…

Tout est partie d’une vidéo que Tony Estanguet m’a envoyée quatre jours après mon accident. Il me disait qu’il avait appris ce qui m’était arrivé. Il me disait aussi que tout le sport français était derrière moi, qu’il me soutenait et me lançait le défi de me relever pour venir courir ce Marathon pour tous en 2024. Il savait que je voulais courir un marathon et plus spécialement celui-ci. Cela m’a énormément émue et touchée, même si je savais qu’il fallait d’abord que je réapprenne à marcher avant de courir.

Malgré tout, à ce moment-là, quatre jours après votre opération, vous pensiez déjà que ce serait possible ?

J’étais persuadée que c’était envisageable. Et j’étais touchée de me dire que j’y participerais. Que je ferais tout pour y être. Mais il ne fallait pas brûler les étapes et prendre chaque chose en son temps pour retrouver d’abord de la mobilité.

La course à pied faisait-elle déjà partie de votre vie de sportive de haut niveau avant cet accident ?

J’ai toujours couru et aimé ça. J’ai commencé quand j’ai intégré le pôle France de short-track en juniors. On courait alors plusieurs fois par semaine et on intégrait la course à pied dans tous nos échauffements. L’été, on faisait souvent du travail de fond à pied et à vélo. J’ai également eu des coaches coréens, à un moment donné, qui nous faisaient énormément courir. Parfois on devait même enchainer une trentaine de tours de piste en respectant un certain chrono. Je me suis même essayé au trail, une saison, et j’en ai gagné un dans le Doubs, en 2019. Le marathon m’a toujours attirée aussi. Mais c’était compliqué avec mon calendrier de compétitions. Je n’avais pas la place pour préparer ce type d’épreuve sportive qui laisse pas mal de traces, surtout quand on n’est pas un athlète. J’avais donc remis ça pour plus tard, après ma carrière. Et puis le Marathon pour tous a été dévoilé et je me suis dit si je devais participer à un marathon, c’était vraiment celui-là que je voulais faire. J’en ai même parlé à des amis dans le sport. C’était dans ma « to do list ». Après l’accident et la vidéo de Tony, c’est devenu un objectif.

En quoi la course à pied vous a-t-elle aidée à vous relever ?

Cela s’est fait en plusieurs étapes. Au départ, je m’étais dit que je participerais à ce marathon même si j’envisageais aussi de reprendre le short-track à haut niveau. Je regardais alors énormément de personnes courir sur les réseaux sociaux et je n’avais qu’une hâte : pouvoir recourir à mon tour. Le 27 janvier 2023, j’ai quitté le centre de rééducation en trottinant sur la pelouse, sur les conseils de mon kiné qui voulait voir ce que je ressentais en termes de traumatisme et de douleur. Ça a été la première mise en action… Malheureusement, j’ai eu pas mal de problèmes de santé par la suite. J’ai développé un pneumothorax fin 2023, et j’ai dû refaire un séjour à l’hôpital. En 2024, j’ai aussi perdu mon grand frère et ma préparation n’a pas été optimale. Pour autant, j’ai tenté de courir le plus possible en respectant mon corps. Au début je ne courais vraiment pas beaucoup, juste 2 ou 3 km, en alternant marche et course. J’ai augmenté progressivement jusqu’à effectuer ma première longue sortie, un semi, au mois de juillet, à l’entrainement. Auparavant, j’avais fait des injections de toxine botulinique dans les mollets pour lutter contre la spasticité (raideur musculaire involontaire) mais ça a été très douloureux et très difficile, car ces injections ont eu l’effet inverse de ce qui était prévu. À cause de ça, je n’ai quasiment pas couru avant le Marathon pour tous. En revanche, je suis partie faire la traversée des Alpes à vélo avec mon copain. J’ai finalement fait beaucoup plus de vélo et de yoga que de course à pied. Mais je n’ai jamais douté. Je savais que je ferais ce Marathon pour tous. En plus j’avais la chance d’être capitaine de sas et ambassadrice de Paris 2024. Dans ma tête, c’était une certitude que je prendrai le départ.

Et le jour J, comment l’avez-vous vécu ?

J’avais hâte d’y être. D’autant que j’étais avec deux amis très chers, Vincent et Bruno, et que mon conjoint était là aussi sur le parcours pour m’encourager. Au moment du départ, il y a eu un discours très émouvant qui m’a donné énormément de frissons. J’avais déjà vécu beaucoup de moments très fort en émotions dans ma carrière, mais là c’était encore autre chose, un instant suspendu. Je m’en souviendrai toute ma vie. Après, une fois partis, on a surveillé nos montres pour ne pas courir trop vite, mais très rapidement, dès le 14e kilomètre, j’ai ressenti des douleurs au niveau des hanches. Ce n’était pas le souffle, ni des douleurs musculaires, c’était vraiment des douleurs liées aux séquelles de mon accident. J’avais l’impression que mes hanches se disloquaient. Ça a été très dur car j’avais vraiment l’impression que j’allais devoir m’arrêter. Mais je n’avais jamais abandonné au cours de ma carrière et je me suis donc fait violence pour continuer. J’étais bien entourée et je me sentais portée par toute cette ferveur des Jeux. Cela m’a aidée et je suis très fière d’avoir réussi à aller jusqu’au bout. Le marathon, c’est quand même une distance qui donne le vertige : 42 km en courant. C’est fou, quand on y pense. Et encore plus après tout ce que j’ai vécu.

En mai dernier, vous avez également renoué avec la compétition en para-cyclisme. Le sport reste votre moteur…

Il fait partie intégrante de ma vie. J’en parle beaucoup dans mon livre. Cet ouvrage, c’est une ode au sport. Car ça m’a sauvé la vie, clairement. L’activité sportive m’a toujours permis de me relever et d’aller de l’avant. Et maintenant, j’en ai encore plus besoin. Le fait de reprendre la compétition, de remettre un dossard, d’être à nouveau sur une ligne de départ, cela me fait un bien fou. C’est ce qui m’anime et me passionne. Je ne me verrais pas vivre sans sport de manière générale, ni sans défis.

Vous avez traversé les Pyrénées et les Alpes à vélo avec votre conjoint… Quelles seront vos prochaines aventures ?

Se lancer des défis permet d’avancer et de sortir de sa zone de confort. Cela m’a permis aussi de ré-apprivoiser mon corps. C’est différent de la performance. Aujourd’hui, j’ai aussi envie de me projeter sur des compétitions pour refaire des médailles, voire aussi les Jeux Paralympiques à Los Angeles. C’est ce qui m’a animé pendant toutes mes années de short-track et ce qui me motive encore aujourd’hui, car je me dis que je pourrais peut-être retrouver tout ça avec le para-cyclisme.

Et la course à pied, quelle place continuerez-vous à lui accorder dans votre quotidien ?

Je suis ambassadrice de la fondation « Wings for life world run », qui a pour but de trouver un remède contre les lésions de la moelle épinière. Tous les ans, il y a une course qui se tient au même moment partout dans le monde. Cette année, je n’ai pas trop couru, mais j’ai tenu malgré tout à y participer et à courir mes 13 km. Chaque année, ce sera mon rendez-vous course à pied. Leur slogan « Courir pour ceux qui ne peuvent pas » fait écho à mon parcours et à toutes les personnes que j’ai pu côtoyer au fil de ma rééducation et à qui je pense toujours. Même si je ne peux plus courir comme avant car c’est beaucoup plus traumatisant que le vélo, cela continuera donc à faire partie de mon quotidien d’une certaine façon.

Propos recueillis par Véronique Bury

Rédaction J'aime Courir, le 13/08/2025 11:46:00
Vous serez peut-être interessé par des articles sur la même thématique
Interview
Jason Pointeau : « J’adore toujours ce petit nœud au ventre »
Après avoir passé dix ans sur les terrains de rugby, Jason Pointeau a renoué avec l’athlétisme, son premier amour, puisqu’il fut un sprinter de grand talent avant de basculer sur les longues distances
JE découvre
Interview
Yoann Kowal : « Je me donne encore 2 ans »
À 37 ans, le spécialiste du demi-fond, champion d’Europe du 3000 m steeple à Zurich en 2014, n’est pas encore prêt à raccrocher les baskets. Passionné, il fourmille encore d’objectifs à atteindre sur
JE découvre
Interview
Alexandre Boucheix : « Je suis un peu comme Forrest Gump ! »
Personnage attachant, décalé et grande gueule, Alexandre Boucheix s’est fait connaitre dans le milieu du trail par sa présence médiatique, sa fameuse casquette verte vissée sur la tête. Coureur lambda
JE découvre
nos partenaires
Vous avez une question ?
besoin d'un renseignement ?
CONTACTEZ-NOUS : cliquer ici
Suivez-nous