Running et confinement : comment s’adapter à des horaires d’entraînement inhabituels ?
Depuis le début du confinement, les habitudes des athlètes n’ont pas été uniquement chamboulées par l’obligation de limiter les sorties à une heure par jour et un kilomètre de rayon. Du fait de conditions de travail exceptionnelles, comme le télétravail, le chômage partiel ou total, ou au contraire une activité professionnelle accrue, beaucoup ont aussi été contraints de modifier leurs horaires d’entraînement. Témoignage de coureurs et recommandations du docteur Antoine Bruneau, médecin de l’équipe de France.
Triple championne du monde de trail par équipes, Aurélia Truel est rompue aux réveils à l’aube pour prendre le départ d’une course. Mais pour s’entraîner, la sociétaire de l’AC Choisy-le-Roi préfère aller courir en milieu de matinée ou d’après-midi, en fonction de ses horaires de travail. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, la médaillée mondiale en individuel (deuxième en 2013) a toutefois dû bousculer ses habitudes. Un jour sur deux, elle part courir entre 5h30 et 6h30 du matin pour éviter les foules.
« Je m’entraîne aussi tôt le matin parce qu’à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), où j’habite, on n’avait plus le droit de courir entre 10h et 19h, explique l’ex-internationale de 45 ans. À cette heure-là, il n’y a personne dans les rues. On est tranquille et on n’est pas jugé [parce qu’on court]. Et puis le soir, il y a trop de monde sur les bords de Seine. Ce n’est pas pratique : il faut faire attention aux gens, aux animaux... Comme je ne suis pas du soir, je ne veux pas aller courir à 21 h. »
En optant pour des entraînements sous les premiers rayons du soleil, Aurélia Truel a également dû effectuer d’autres ajustements à sa routine. « Pour du footing, je pars courir à jeun. Pour du fractionné, j’apporte toujours une boisson sucrée. Et pour une séance un peu plus dure, je mange deux heures avant. Ça m’est arrivée de déjeuner à 4 h du matin, de me rendormir et de partir courir à 6h30-7h. Du coup, je ne me couche pas plus tôt, mais je fais une sieste tous les jours, ce qui n’était pas le cas avant. »
Privilégier les sorties longues le matin et le fractionné en fin de journée
« Chaque situation est différente d’une personne à l’autre, on ne réagit pas tous de la même manière, prévient le docteur Antoine Bruneau, médecin des équipes de France. Naturellement, on est un peu plus performant entre 17h et 19h sur des efforts de force, de vitesse ou d’une durée allant jusqu’à 30 minutes. Cela s’explique par les hormones secrétées au cours de la journée ainsi que l’élévation de la température corporelle, qui permet aux muscles de mieux réagir. La preuve : si on effectue un effort à 4h du matin, on sera généralement beaucoup moins bien qu’à 18h ! Néanmoins, ce rythme physiologique naturel de l’être humain est adaptatif dans une certaine mesure. Il peut être modulé par des habitudes d’entraînement. Quelqu’un qui s’entraîne depuis 10 ans à 6h du matin est capable de faire des efforts de la même capacité qu’avant à 18h. »
« Le fait de déranger ses habitudes sur une période de court terme, de deux à trois semaines, peut effectivement conduire à ne pas se sentir au mieux de sa forme. Cela a tendance à perturber les capacité d’effort et d’entraînement. L’inverse est également vrai : quelqu’un qui a l’habitude de s’entraîner le matin ne sera pas très à l’aise s’il court l’après-midi, même si c’est généralement un peu mieux vécu dans ce sens-là. Mais en règle générale, on va mieux réagir le matin si on fait de l’endurance fondamentale, soit des efforts de plus d’une heure, et en fin de journée si on fait du fractionné. Le matin, la température extérieure plus fraîche dans nos régions tempérées et celle de notre corps plus basse au réveil qu’au coucher favorisent un effort de plus longue durée parce que moins d’énergie est dépensée pour évacuer la chaleur. »
Effort matinal : les conseils pour partir du bon pied
Pour les novices de l’entraînement le matin, le docteur Bruneau préconise donc de privilégier les efforts longs et peu intenses. « Il faudra y aller plus progressivement que d’habitude, avec un échauffement un peu plus prolongé, précise-t-il. La question de courir à jeun peut se poser, mais ce n’est pas recommandé à tout le monde, car on n’est pas forcément à l’aise au début. Si on part à jeun sans en avoir l’habitude, je recommande de limiter les sorties à 40 minutes une fois par semaine au début, sur de l’endurance fondamentale. L’idée, c’est quand même de boire un peu d’eau avant d’y aller et de prendre au moins 10-15 minutes après le réveil pour retrouver de l’amplitude articulaire et la vitesse de conduction de l’influx nerveux. »
« Cela peut passer par des petits mouvements de stretching musculaire et articulaire. Pour un novice de l’entraînement à jeun, marcher pendant les cinq ou dix premières minutes de footing me paraît adapté. Pour ceux qui ne veulent pas courir à jeun, il est préférable de respecter un minimum de 30 minutes entre le petit-déjeuner et le début du footing, l’idéal était d’attendre deux à trois heures. Quant à ceux qui doivent s’entraîner le midi, je conseille de prendre un petit-déjeuner assez conséquent, avec au moins des sucres lents, et éventuellement un en-cas très léger en fin de matinée. »
Entraînement le midi : un rythme à trouver
Pour garder la forme malgré les circonstances, certains athlètes ont en effet choisi de caser une séance le midi. Ancien coureur de 400 m haies devenu spécialiste de course sur route et de trail, Romain Carpentier est privé de course depuis le début du confinement, alors il compense par des circuits de renforcement musculaire. « Comme je travaille à l’hôpital, je préfère rester confiné le plus possible, donc on a pris la décision avec ma femme de ne plus sortir courir, explique l’ancien coureur de l’AC Arpajonais et de l’Essonne Athletic. Avant, on courait le soir en sortant du travail. Mais en ce moment, on s’entraîne le midi, chacun sur son lieu de travail, où on fait de la PPG et du pseudo crossfit. Le soir, on fait un peu pareil à la maison pour essayer de s’entraîner presque autant qu’avant. »
Le midi, l’éducateur médico-sportif de 27 ans a donc dû bousculer sa pause déjeuner d’une heure pour pouvoir y intégrer une dose de sport. Il consacre une trentaine de minutes aux exercices physiques, avant de manger en 15 minutes et de prendre une douche. « Il a fallu trouver le rythme le plus efficace, à savoir manger avant ou après le sport. Il ne faut pas perdre de temps, mais ça se fait bien ! »
L’impact psychologique du confinement sur l’entraînement
La situation extraordinaire de confinement peut aussi avoir des conséquences psychologiques sur les coureurs, qui se répercutent alors sur la qualité des entraînements. « Au début de l’épidémie, je me posais pas mal de questions. J’étais toujours sur le qui-vive, confie Aurélia Truel, qui travaille dans un complexe sportif dont le gymnase a été transformé en centre médical pour soigner des malades du coronavirus. Comme je dois désinfecter les locaux, j’ai intérêt à rester en bonne santé. Même sur du fractionné, je ne suis jamais à fond pour ne pas "astiquer" au niveau cardiaque et pulmonaire. Comme en plus on est limité à une heure de course, j’ai beaucoup perdu en endurance et en seuil. Mais maintenant que je me suis faite à cette situation, je suis plus sereine et je me même sens mieux physiquement. »
« Le confinement a pour effet de modifier un peu le moral de tout le monde, confirme le Docteur Bruneau. Cela peut perturber le sommeil, et les troubles du sommeil vont forcément influer sur les capacités physiques et la performance. Le télétravail, par exemple, peut provoquer une rupture de nos rythmes sociaux habituels, qui peut décaler l’heure du coucher et du lever. Alors, même si on on s’entraîne à la même heure que d’habitude, cela peut avoir un impact sur nos capacités physiques d’entraînement. De plus, les séances intenses ne sont pas conseillées en ce moment. En période d’épidémie, mieux vaut les éviter pour ne pas risquer d’être fragilisé au niveau cardiaque ou pulmonaire, surtout au-delà d’un certain âge ou si l’on n’est pas en excellente forme physique.»
Camille Vandendriessche pour J'aime Courir